Filmographie Laurent Maget

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Audiotypie du film « Le dernier supplice chinois » (texte intégral)

3 intervenants :

Christian Passery > Musée Nicéphore Niépce

Jérôme Bourgon  > Institut d’Asie Oirentale

Laurent Maget > Institut des Sciences de l'Homme

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Jérôme Bourgon : Vous détenez ce jeu tout à fait original et intéressant.

 Christian Passery : il est de très belle qualité et le jeu est complet, douze plaques.

JB : Et ça je crois vraiment que c’est une révolution technique. Je crois que….

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Laurent Maget : Historien de formation classique, Jérôme Bourgon, s’est orienté vers l’histoire de la Chine. Il en a appris la langue et après avoir réfléchi à la meilleure façon d’aborder cette civilisation, il s’est spécialisé dans l’étude du droit chinois, considérant que c’était la meilleure porte d’accès pour avoir une vision d’ensemble.

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JB : J’ai commencé par lire tout ce qu’il y avait de disponible sur le droit chinois. Dès ce moment-là en fait, des bibliothécaires, un peu perfides peut être, m’ont orienté vers des images. Notamment, les images de George Bataille, qui montrent des supplices chinois. Et à ce moment-là, j’ai mis ça entre parenthèse, j’ai fait une thèse tout à fait classique sur les textes de droit chinois. Et puis quand même, ces images m’ont un petit peu hanté, et surtout que j’y suis revenu de plus en plus souvent, enfin je veux dire, je les ai rencontrées de plus en plus souvent. Jusqu’au moment où je me suis aperçu qu’elles étaient extrêmement répandues et donc qu’il n’était pas possible de faire l’étude du droit chinois de manière un petit peu abstraite sans s’intéresser au fait que la perception du droit chinois par les occidentaux était aussi une image visuelle finalement. Enfin était aussi quelque chose de très visuel, de très ressenti parce que c’était ces images de supplices chinois qui traînaient partout.D’autant plus, qu’en fait ces images nous aide à percevoir le droit d’un point de vue pratique, et ça ce n’est pas valable seulement pour la Chine. Je crois que toute l’œuvre de Foucault est là pour démontrer qu’il y a plusieurs manières de voir le droit mais qu'il est très intéressant de recouper tout ce qui est écrit sur le droit avec ce que l’on peut voir, avec ce qu’il a été pratiqué, tous les témoignages que l’on peut avoir sur les pratiques. Donc finalement, j’ai réintroduit ces images au centre de mon étude et j’ai découvert un univers que je vais essayer de faire découvrir.

LM : Tu as eu connaissance finalement du document que possédait le musée Niepce à travers une émission radiophonique, à laquelle a participé le conservateur Monsieur Cheval. On va dire que tu es arrivé devant cet objet, tu étais déjà toi devant ton travail iconographique des supplices chinois.

JB : En effet, tout mon problème, finalement, à partir de ces photos, c’est de réussir à savoir qui cela montre, identifier le supplicié et savoir à quel moment cela se produit, et où cela se produit. Et ce jeu-là je ne le connaissais pas, donc immédiatement je m’y suis rendu parce que, en fait, la question qui court derrière cela c’est pas simplement, c’est pas une espèce de manie qui m’habite mais c’est que la datation est importante, puisqu’on sait historiquement, et au départ ça a été ma recherche, que tous ces supplices ont été abolis en 1905. Or on va trouver toute une série de livres, plus ou moins grand public et de plus ou moins bon goût qui nous disent que des supplices de ce genre se sont déroulés dans les années 20, 30, etc. Et donc finalement ce supplice chinois est devenu un mythe qui court dans l’histoire chinoise. On pourrait presque dire que cela c’est passé durant la révolution culturelle où il y a une dizaine d’années. Donc un de mes problèmes, c’est de montrer que toutes les photos disponibles ont eu lieu avant la date d’abolition. Et donc que l’abolition a été effective, hors en analysant très précisément les clichés, on s’aperçoit qu’on n’est pas à Canton, on est bel et bien à Pékin et on est très vraisemblablement en fin 1904 parce que je crois avoir réussi à identifier le supplicié. Donc voilà un petit peu l’esprit, c’est-à-dire partir de documents qui ont été publiés avec des légendes fausses auprès d’un large public et essayer de les re-situer très précisément dans l’histoire afin de montrer que ces supplices ont bel et bien pris fin en 1905. Et je crois qu’en historicisant, en apportant le contenu historique, justement on diminue beaucoup tout ce qui est fantasme et tout ce qui est irrationnel autour de ces images.

Avant de parler donc de ce supplice spécifique, du lingchi, que nous voyons sur ces photos, il faut peut-être préciser une chose, c’est que le lingchi est quelque chose d’extraordinaire au sens très fort du terme dans le droit chinois. Dans la mesure où c’est un supplice qui n’est pas répertorié dans la liste, je dirais légale…

LM : il s’agit pourtant véritablement d’un démembrement.

JB : Il s’agit absolument d’un démembrement, je crois que c’est le terme qui convient. C’est-à-dire qu’il s’agit de découper les membres, et le démembrement proprement dit est préparé par des phases de lacérations de la poitrine, du gras des bras et des jambes. Et ensuite on coupe les membres, et finalement la tête. En gros, ce n’est pas tellement une peine individuelle, c’est la peine qui s’abat sur un clan. D’ailleurs au départ la peine était accompagnée de l’extermination du clan, et notamment des enfants mâles. Et je crois qu’on représente en fait sur un corps le démembrement du clan. Et le terme chinois lui-même est assez compliqué, mais la signification la plus probable c’est qu’il s’agit de l’arasement d’un tumulus. Le tumulus représentant le tombeau funéraire commun du clan. Donc je crois qu’on tourne toujours autour de cette idée de supprimer une famille qui a porté atteinte au pouvoir de l’empereur ou qui a supprimé une autre famille aussi. C’est-à-dire qu’il s’agit finalement d’une espèce de vendetta entre clans, le clan impérial et le clan coupable d’avoir porté atteinte à l’empereur. Je crois que c’est quelque chose comme ça.

C’est vraiment un effet extrêmement frappant, toutes les choses se détachent de manière très précise et on dirait que la scène prend un sens différent par rapport à ce que l’on voit sur des photos plates.

LM : Voilà, donc là on passe à la partie localisation. Alors à priori la photo aurait été prise à Canton si j’ai bien compris.

JB : Alors, il y a surtout pour ce qui est de la localisation cet élément très important que sont ces enseignes ici, et surtout celle-ci. Alors au départ, en regardant la photographie à la loupe au musée Niepce, j’avais cru naïvement que c’était peut-être cesfichesde bambous que l’on collait au dos des accusés pour indiquer leur age, le type de condamnation, leur crime, pourquoi ils avaient été condamnés ainsi que bien sûr l’autorité qui les avait condamnés. Alors bien évidemment, lorsque l’on tombe sur ce genre d’informations on a tout, on est très content. Et en fait il ne s’agit pas du tout de cela, donc ces inscriptions, la première indique que l'on a affaire à la boutique Xihe niantang qui fabrique une véritable pilule, la pilule authentique à l’ancienne. Et ensuite le reste est coupé. Et le deuxième panneau, qui est juste derrière, c’est à peu près la même chose, la boutique Xihe niantang est présente dans les provinces du Sichan, du Guangdong, du Yunnang, du Guizhou, du Fujian, du Zhejiang. Bref, on a affaire à des panonceaux publicitaires tout simplement, il faut imaginer une espèce de grande réclame derrière le condamné. Donc dans un premier temps déception bien sûr, je m’attendais à trouver des informations sur l’exécution et je me trouvais avec des publicités. Mais en fait c’est également une information importante puisque cette boutique du Xihe niantang, c’est-à-dire le hall de la longévité de l’Ouest, est bien connue pour être l’une des principale boutique de la place Caishikou, la place du marché aux légumes où se déroulaient les exécutions de Pékin.

LM : Euh, bon tu me disais, ça j’apprécie bien, cette histoire de devoir moral d’un chercheur. Il s’agit bien d’identifier le personnage qui est concerné au premier chef, hein, le supplicié ou l’exécuté ?

JB : J’ai feuilleté un petit peu tout ce que l’on pouvait trouver sur l’actualité judiciaire de cette époque à Pékin et il se trouve qu’il y a eu le supplice d’un notable qui a défrayé la chronique à la fin de l’année 1904 et qui correspond assez  exactement à ce personnage. Donc je pense que l’on peut dire que l’on a affaire ici au supplice de Wang Weiqin , ce Wang Weiqin était donc un notable qui a utilisé son entregent, son pouvoir local, pour supprimer toute une famille, d’une douzaine de personnes, les plus jeunes ayant 2 ou 3 ans, et c’est finalement une mère de famille qui a réussi après plusieurs années d’effort à le faire condamner.

J’aimerais que l’on se concentre non pas sur les plaies qui sont toujours fascinantes et par là même attirantes mais sur le visage de ce condamné. Alors, en effet d’une manière générale ce qui m’a le plus étonné c’est l’absence générale aussi bien de cruauté apparente chez  les bourreaux ou chez les gens qui y participent, par exemple chez les auxiliaires du bourreau, que l'apparente absence de souffrance extrême chez le supplicié. Alors bien évidemment je n’ai pas de réponse. Tout ce que je peux dire c’est que c’est une espèce de leitmotiv des témoins occidentaux de ce genre de supplice qui parlent très facilement de l’apathie, d’ailleurs un cliché c’est l’apathie des chinois. Et bon, pour ce qui est des réponses qui sont apportées, parfois on parle du fait que les condamnés étaient assez régulièrement gavés d’opium ou bien étaient tout simplement morts.

Il faut rappeler que la plupart de ces photographies ont été prises par des militaires qui ont eu en fait un créneau temporel extrêmement court pour les prendre, puisque c’est seulement à partir de l’expédition contre les Boxeurs en 1900 qu’ils ont vraiment pris possession Pékin et qu’ils ont pu faire ce qu’ils voulaient à Pékin. Et aussi qu’ils ont eu les appareils disponibles pour faire ce genre de scène parce qu’il fallait des appareils qui puissent prendre des instantanés et qui soient assez maniables pour pouvoir circuler dans la foule. Et les supplices ont été supprimés en 1905. Donc on a là quelques années en fait pendant lesquelles des militaires ont pris ce genre de clichés. Alors là ici un officier, mais on à part ailleurs des photographies de militaires, qui en bandes, venaient prendre des photos sur cette place Caishikou. Et en fait, très vraisemblablement ces militaires qui filmaient ces exécutions se livraient à ce que l’on peut appeler des Safaris photos. Donc on peut parler d’un trafic, oui, il y a une vocation commerciale dans ces documents.

LM : Voilà, donc on reprend la fin de cette partie générique. Oui, je citais, cette phrase est quand même assez surprenante qu’on lit dans tes textes, qui est la suivante : donc « la souffrance physique du chinois est une source de jouissance esthétique pour l’occidental ».

JB : Oui, c’est-à-dire que toutes ces images qui ont circulé au cours de la belle époque rentrent dans la fameuse esthétique de l’horreur, c’est-à-dire que l'on considère un supplice qui a réellement eu lieu où quelqu’un ait réellement souffert d’une mort atroce. On ne fait pas tellement la différence avec toute une série d’autres spectacles du type train fantôme ou ce genre, ou fête foraine. Et le plus frappant c’est de voir que ces supplices ont pu devenir des cartes postales, il y a une série qui a été imprimée à Tientsin (Tianjin) par des français, avec un sous-titre français : les supplices chinois, numérotée de 1 à 12. Et ces cartes ont été publiées et surtout elles ont été envoyées, elles ont été timbrées. Envoyées par des gens à d’autres personnes, par exemple de leur famille, pour envoyer des bons vœux ou pour dire "Embrasse maman pour moi",sans aucune référence à ce qu’il y avait de l’autre côté. C’est-à-dire que quand on lit le texte on a affaire à une carte postale tout à fait banale et quand on la retourne, on voit une scène d’horreur. Et ça je veux dire que c’est une des grandes énigmes pour moi de la Belle Epoque, c’est un des problèmes intéressants de la Belle Epoque sur lequel je voudrais essayer d'apporter quelques éclaircissements mais pour le moment….

LM : On l’utilise comme carte postale de paysage ?

JB : On l’utilise, je dirais plutôt, comme scène typique ou comme scène de coutumes, un petit peu comme on enverrait des pieds bandés ou une beauté locale. Et moi ma thèse, c’est de dire, voilà donc, que des photos qui avaient 4 ou 5 ans de créneau temporel pour êtres réalisés et que ça a tout changé, ça a été une révolution dans la perception de la Chine. Parce que l'on n’avait pas, disons que la Chine cruelle, cette image du supplice chinois, Chine cruelle, etc., elle n’existait pas avant, je dirais, 1895 1900. Et c’est à partir de cette photographie que vraiment ça c’est consolidé, condensé et que la Chine est devenue cruelle pour tout le XXe siècle.

LM : Là, d’une certaine façon, on se rend compte véritablement qu’il y a un début et une fin. Que c’est un jeu photographique de 12 images, les bourreaux ont disparu….

JB : On en est, en effet, à la phase terminale, le moment où le corps est disloqué et où le public regarde. Et il est intéressant de noter justement, et là on est vraiment en Chine, c’est-à-dire que c’est le moment le plus important de l’exécution. Parce que pour nous l’exécution c’est le supplice, c’est ce qui est en train de se produire, au moment où le Christ est crucifié, on lui donne un coup de lance, ou bien le moment où le corps du chinois est en train d’être lacéré. Hors pour la Chine aussi bien sur le plan légal que, je pense, aussi sur le plan de la mentalité du public, le plus important c’est après, c’est lorsque le corps gît parce que c’est là qu’il représente la victoire du pouvoir, c’est là qu’il représente euh, c’est là qu’il va s’incorporer en quelque sorte à la ville, à la porte de la ville, etc. pour signifier le fait que la loi, que force est restée à la loi finalement.

LM : C’est l’exemplarité.

JB : C’est l’exemplarité. Et là on en est au moment fort. Et en effet, on en est au moment où le supplice est en train de fonctionner. C’est-à-dire en train de marquer le public.

LM : Il y a deux mots qui se confrontent dans cette histoire : il y a le mot « supplice » et il y a le mot « exécution ». L’un semble, « exécution »: lié à la réalité de la scène, et l’autre semble être une invention : « supplice » ?

JB : Oui, alors exécution c’est le terme le plus fonctionnel qui soit, une peine a été décidée, on l’exécute, bon. Le terme de supplice m’intéresse beaucoup dans la mesure où c’est toute une élaboration occidentale qui est à la fois bien sûr, qui a avoir avec l’exécution, qui a avoir avec une peine, c’est aussi une peine légale. Mais surtout c’est tout ce que l’on en fait sur un plan religieux et, je dirais, social, hein, puisque le supplice avec un grand S c’est celui du Christ. Nous vivons dans une civilisation ou dans tous les lieux publics jusqu’à une période récente et encore aujourd’hui on avait une scène de supplice, par exemple un crucifix. Donc, pour nous le supplice, c’est quelque chose d’extrêmement quotidien et quelque chose qui a beaucoup marqué notre civilisation. Il se trouve qu’en Chine c’est assez différent. Et donc lorsque l’on applique le terme de supplice à une exécution chinoise, on fait une interprétation. On plaque un certain type d’appréhension culturelle, enfin un certain type de schéma culturel sur une réalité d’une autre culture. Alors ça marche jusqu’à un certain point, je pense qu’il faut le faire et c’est intéressant de le faire. Mais il faut le faire en étant conscient de ce que cela signifie et en essayant de rechercher aussi les points où cela ne convient pas, où il s’agit d’autrechose.