Droit d'auteur et fonction publique
Qu’advient-il lorsqu’un agent public est l’auteur
d’une œuvre audiovisuelle dans le cadre de son emploi ? Peut-on reconnaître à cet auteur fonctionnaire les droits
reconnus aux « auteurs d’œuvres de l’esprit » dans
le code de la propriété intellectuelle (CPI) ? où doit
on lui opposer un statut juridique particulier en raison de sa qualité de
fonctionnaire ?
Tout d’abord,
il faut définir ce que l’on considère
comme une œuvre protégée par le droit d’auteur >voir Code de la propriété intellectuelle
Maintenant que nous avons rapidement énuméré les
droits dont tout auteur d’œuvre de l’esprit (parmi
lesquelles figurent les œuvres audiovisuelles) est par principe
titulaire, nous allons voir que ce régime juridique n’est
pas celui qui est appliqué actuellement aux fonctionnaires lorsqu’ils
créent de telles œuvres dans le cadre de leur fonction.
En effet, en la matière, l’avis OFRATEME du Conseil d’Etat
du 21 novembre 1972, précise que “les nécessités
du service exigent que l'administration soit investie des droits de l'auteur
sur les oeuvres de l'esprit telles qu'elles sont définies aux
articles 1 et 3 de la loi du 11 mars 1957, pour celles de ces oeuvres
dont la création fait l'objet même du service”.
Ainsi
il semble que par cet avis, le conseil d’Etat considère
que le CPI ne s'applique pas aux relations entre l'Etat et ses agents.
Les droits sur les oeuvres créées par les fonctionnaires
dans le cadre de l'exécution du service public appartiennent à l'Etat.
Ce
texte apparaît comme très restrictif car il ne reconnaît
pas le droit moral pour un fonctionnaire qui crée dans l’exercice
de sa fonction (pendant le temps de travail et avec les moyens publics
mis à sa disposition).
Le Conseil d’Etat a confirmé sa jurisprudence en 2002 tout
en admettant que son application doit être nuancée et respectueuse
des personnels.
En revanche, tout ce qui n’est pas lié directement au service
demandé retombe dans le domaine du droit d’auteur puisque
l’Avis OFRATEM lui-même indique que "tous les collaborateurs
du service public, quelque soit leur statut ou leur contrat conservent
les droits de propriété littéraire et artistique
sur leurs oeuvres personnelles dans la mesure ou la participation à ces
oeuvres n'est pas liée au service ou s'en détache..."
C’est donc aujourd’hui cette jurisprudence qui s’appliquerait
dans le cas d’un recours devant les tribunaux administratifs concernant
les droits accordés aux agents de l’Etat créateur
d’œuvres de l’esprit.
Mais il n’est pas du tout évident qu’en cas de recours
devant les juridictions pénales le fonctionnaire n’obtienne
pas gain de cause car celles-ci respectent beaucoup plus le droit d’auteur.
Il faut savoir qu’actuellement l’Etat du droit en la matière évolue
pour aller dans le sens d’une plus grande protection des fonctionnaires
et d’une reconnaissance de droits d’auteur sur les œuvres
de l’esprit qu’ils créent dans l’exercice de
leur fonction.
Ainsi, le Conseil supérieur de la propriété littéraire
et artistique, a, dans son avis du 20 décembre 2001, annoncé qu’ « Il
n'existe pas en droit positif de définition des catégories
de travaux réalisés par des agents publics dans le cadre
de leurs fonctions qui seraient exclus du champ de la propriété littéraire
et artistique ».
Cet avis recommande logiquement un "renversement du principe
défini par l'avis OFRATEME" en insistant sur le fait
qu'il ne peut y avoir "aucune dérogation à la
jouissance du droit reconnu" sur la propriété intellectuelle.
Enfin, un projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits
voisins dans la société de l’information, adopté par
le conseil des ministres le 12 novembre 2003, prévoit d’accorder
aux fonctionnaires le droit d’auteur sur les œuvres qu’ils
créent dans le cadre de leurs fonctions. Ce projet reprend en
substance l'avis du conseil supérieur de la propriété littéraire
et artistique du 20 décembre 2001.
Il est ainsi proposé de préciser à l’article
L 111-1 du CPI que le titulaire initial d’une œuvre de l’esprit
est son auteur, nonobstant l'existence ou la conclusion d'un contrat
de louage d'ouvrage ou de service par son auteur et ce même si
l'auteur est un agent de l'Etat, d'une collectivité territoriale
ou d'un établissement public à caractère administratif.
Cette dernière précision met donc fin au règne de
l'avis Ofrateme. Cependant, en vue de concilier les intérêts de l’auteur
et ceux de son établissement de rattachement, le projet de loi
propose d’introduire certaines spécificités. Les attributs moraux du droit d'auteur d'un agent public sont
réduits (insertion d'un article L.121-7-1 au
CPI) à l'instar de ceux des créateurs de logiciels :
> le droit de divulgation est limité par les règles qui
régissent son statut d'agent (obligation de discrétion...)
et par celles qui régissent son organisme d'appartenance (règlement
intérieur, décret constitutif de son organisme...).
> l'agent public-auteur ne peut s'opposer à la modification de
son oeuvre lorsqu'elle est décidée dans l'intérêt
du service public, sous réserve que cette modification ne porte
pas atteinte à son honneur ni à sa réputation.
> l'agent public-auteur ne peut exercer son droit de repentir
et de retrait (récupérer son oeuvre même s'il l'a
précédemment cédée), sauf accord de l'autorité hiérarchique
(à la différence du créateur d'un logiciel qui ne
peut jamais exercer ce droit)
Concernant l'exploitation de l'oeuvre, le projet de
loi introduit trois articles (L.131-3-1 à L.131-3-3) dans le CPI,
pour permettre à la fois l'exploitation de l'oeuvre par la personne
publique et l'intéressement des agents ayant cédé leurs
droits d'auteur à la personne publique qui les emploie.
S'il s'agit de permettre une exploitation de l'oeuvre dans le cadre
de l'accomplissement d'une mission de service public,
il est considéré que le droit d'exploitation de l'agent
est cédé de plein droit à la personne publique dès
la création de l'oeuvre. Il n'est donc pas nécessaire de
conclure un contrat de cession avec l'agent, l'oeuvre est dans ce cas
présumée cédée dès sa création
(article L.131-3-1 nouveau). À noter que dans cette hypothèse,
un décret en Conseil d'État devra préciser
les modalités d'application des articles introduits par ce projet
et notamment fixer les conditions de l'intéressement des agents
aux produits tirés, par la personne publique, de l'exploitation
non commerciale de ses oeuvres.
S'il s'agit d'exploiter l'oeuvre à des fins commerciales,
la personne publique ne dispose alors que d'un droit de préférence.
La cession ne sera effective qu’après que la personne publique
ait levé l'option, sous réserve qu’un contrat de
cession de l'oeuvre (fixant notamment les conditions financières
de cette cession) soit conclu entre l'agent et son administration.
On peut noter ici une source de difficultés probables dans l’application
de ces dispositions, si celles-ci sont retenues dans la loi et qui résidera
dans la délimitation de ce qui relève, ou pas, d'une mission
de service public, notamment pour les EPST dont l'une des missions est
de valoriser les résultats de leurs recherches notamment au travers
d'une exploitation commerciale !
Alexandre Rozoy
Juriste |
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Laurent Maget
Auteur-Réalisateur |
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à ce jour > les droits d'un auteur fonctionnaire (source enssib) :
La loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (DADVSI), publiée le 3 août 2006 (décret d'application n°2006-1763 du 30 décembre 2006), fixe dans son titre II, articles 16 à 18, le droit d'auteur des agents de l'Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics à caractère administratif.
Elle reconnaît expressément aux agents publics la qualité d'auteur pour les oeuvres protégeables qu'ils créent dans le cadre de leurs fonctions, les alignant ainsi sur le régime applicable aux salariés privés. Elle confère cependant à l'administration le droit d'exploitation de l'oeuvre, à des fins non commerciales, dans le cadre de l'accomplissement de sa mission de service public.
L'article 17 de la loi DADVSI prévoit en effet, afin de concilier les intérêts de l'auteur agent public et ceux de son établissement de rattachement :
• une limitation du droit de divulgation, qui doit s'exercer dans le respect des règles qui régissent le fonctionnement et l'activité de la personne publique qui l'emploie (règlement intérieur, décret constitutif de son organisme ou statuts).
• une atténuation du droit au respect de son oeuvre ; cette dernière peut être modifiée dans l'intérêt du service public, par l'autorité investie du pouvoir hiérarchique, à condition que cette modification ne porte pas atteinte à l'honneur ou à la réputation de son auteur.
• une atténuation du droit de retrait , qui ne pourra être exercé qu'après avoir obtenu l'accord de l'employeur.
L'article 18 précise enfin que, pour permettre l'exploitation de l'oeuvre par la personne publique :
• le droit d'exploitation de l'agent est cédé de plein droit à son employeur dès la création de l'oeuvre s'il s'agit de permettre une exploitation de l'oeuvre dans le cadre de l'accomplissement de la mission de service public de l'établissement de rattachement.
• s'il s'agit d'exploiter l'oeuvre à des fins commerciales, l'employeur public ne dispose que d'un droit de préférence et un contrat de cession de droit en bonne et due forme devra être signé avec l'agent.
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Voir ausi :le site Droit et Image de "in visu"
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DROIT D'AUTEUR, DROIT À L'IMAGE À L'ÈRE DU NUMÉRIQUE (Agence du patrimoine immatériel de l'État )
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