Filmographie Laurent Maget / Cinéaste Anthropologue au Musée de l'Homme - https://lejournal.cnrs.fr/diaporamas/pygmees-operation-mango


Il est nécessaire de s’éloigner de la distinction artificielle entre fiction et documentaire, entre ce qui semble ne relever que de la création et ce qui se donne comme une représentation objective du réel (le simple fait de cadrer suggère un point de vue, un parti pris…).

Dès lors, on constate qu’un film prenant pour objet la recherche scientifique, dans le domaine des sciences humaines où autre, dépasse une simple fonction de communication (d’un résultat, de chercheur à chercheur, de vulgarisation…). Parce que l’image peut par moments se substituer à ce que l’œil ne peut voir : particules invisibles, reconstruction d’espaces disparus (images 3D, animations…), accélération ou ralentissement du rythme de défilement des images (botanique, urbanisme) l’image s’immisce dans l’imaginaire par les “ secrets ” qu’elle révèle. L’organisation de ces images se fait-elle alors selon leur sens ou selon les émotions qu’elles provoquent ?

Prenant le documentaire comme œuvre de création, il est donc question de style et dès lors, de distance critique.

Il s’agit de considérer que la pertinence d’un sujet de documentaire se “ mesure ” aux débats qu’il soulève, à sa façon de s’inscrire dans les débats qui lui préexistent. On voit que, par exemple, la condition de passage à la télévision d’un documentaire tient dans son rapport à l’actualité et au fait de société (problèmes écologiques, génétiques) voire au “ sensationnel ”, ce qui semble tout le contraire du travail du chercheur, isolé selon le sens commun dans une tour d’ivoire. Cette contradiction nous met sur une piste : le travail du réalisateur ne serait-il pas alors d’ “ humaniser ” les enquêtes abstraites du scientifique ? Le chercheur étant un médiateur entre un travail et des résultats, comment faire de lui un vecteur de la narration ? Comment faire ressentir la durée propre de la recherche, faite de doutes, de ralentissements, d’accélérations, de tâtonnements et de réussites ?

Ici, on touche à la question de la dramatisation de la démarche scientifique. Raconter, c’est faire appel à différents processus (identification, lumière, cadrage, montage), confronter et mettre en rapport les éléments de la narration. L’enjeu se situe dans cette confrontation.

De façon presque “ subversive ”, il s’agit de réinjecter dans le récit documentaire la notion de spectacle (l’artifice de la mise en scène) et d’émotion (l’expérience vécue par le chercheur), propre à la démarche créatrice ou attribuée au cinéma de fiction. Puisque la communication scientifique se réalise avant tout à travers les mots (publications, articles, actes de colloques), il s’agit de mettre en regard l’écrit et l’image et de s’interroger sur l’apport de cette dernière en ce sens qu’elle mettrait en danger et critiquerait le mode de transmission traditionnel des connaissances scientifiques. Il est alors question de contourner l’association image-vulgarisation, en jouant d’un parallèle (vite résumé) entre créativité scientifique et créativité artistique.

Il est par ailleurs nécessaire de s’interroger en premier lieu sur le “ profilmique ” d’un film documentaire, c’est-à-dire son objet. Par quoi est-il constitué ? Par au moins trois éléments : l’objet d’une recherche donnée, le chercheur, la recherche proprement dite (dans son développement, sa durée…).

La forme et le fond d’un documentaire sont fonction de plusieurs variables, selon qu’il s’adresse à un public jeune ou expérimenté, selon son mode de production (partenariat avec une chaîne, avec un centre de diffusion de la connaissance, autoproduction), selon son support de diffusion (film de cinéma, vidéo simple ou interactive, DVD, Web TV ou Webcast)

À partir de ces contraintes, de quelle façon dégager la notion d’auteur dans le documentaire ? S’attachant toujours à ces contraintes, quelles voies offrent-elles au documentariste et au chercheur, dans leur volonté de diffusion de la science ?

Le documentaire s’insère dans une thématique :

            Il est concentré sur l’objet d’une recherche, sur un fait de société ; des questions sont soulevées, des réponses sont apportées sous forme d’interviews, de démonstrations, de reconstructions (restitutions). S’attachant à ce type de réalisation, peut-on parler concernant cette forme d’un “ degré zéro de l’écriture ”, suggérant un effacement du narrateur du film au profit de l’information ? (= reportage ?)

Le documentaire prend la forme d’un portrait :

            Le chercheur (ou l’équipe de recherche) est appréhendé comme médiateur, en même temps sujet du film et objet du réalisateur. La démarche scientifique est alors envisagée sous l’angle d’une “ préoccupation ”, attachée à l’investissement du chercheur dans son travail : on peut imaginer une forme indirecte du documentaire : au “ je ” appliquée au documentaire scientifique, on substitue une sorte de biographie après coup ou “ en progrès ” d’une recherche.

Le documentaire est lui-même un objet d’investigation :

            Partant d’une problématique, il l’étaye ou la critique par des images. Le film s’affirme alors comme élément de recherche et comme document scientifique proprement dit. Dans ce cas de figure, la réalisation “ colle ” à son sujet, le regard (du scientifique, puis du public) faisant démonstration ou, à l’inverse, le réalisateur utilise ses images pour critiquer et mettre à distance des méthodes et des résultats obtenus ailleurs.

Idéalement, le documentaire combine ces différents éléments, en tant qu’informations et points de vue.
Cette esquisse de typologie du documentaire scientifique, détermine et appelle à une typologie des publics visés et à travers eux, des moyens de production et de diffusion adoptés.
Bien au-delà de la question de l’écriture documentaire, quantité de demandes me sont faites pour des usages très divers, selon qu’il s’agisse d’observer, d’indexer, de stocker, de restituer, de valoriser, voire de communiquer dans l'ugence.
Nous l’avons vu, l’explosion des techniques numériques et interactives nécessite une mise en perspective de leurs exploitations.

Laurent MAGET - 2002