développement du projet de film
BAKA.net ( Pygmées ! Vos Papiers ! )

 

 

Note d'intention
Au cœur de la grande forêt des pygmées, c'est souvent poétique... et violent
Depuis 15 ans, je filme cette vie nouvelle qu'ils inventent entre la brousse et la piste. Le cas de Moangue le Bosquet, village de 800 Pygmées Baka au sud-est Cameroun est unique
Dos à la forêt, face à la ville, les caméras captent la rencontre des Pygmées Baka et du Grand Monde
C'est parfois Poétique quand chaque jour on part chasser, cueillir, pêcher
Mais c'est toujours Violent quand les grands noirs te méprisent. Pour certains, un pygmée n'est pas même un humain, juste un animal qui parle
Et cela sera fatal quand la mine de Cobalt, pétrole du 21ème siècle, s'ouvrira à quelques Kilomètres ...

Le récit commence il y a 50 ans, dans l'est du Cameroun ...
Comprenant les relations complexes que les Baka entretiennent avec leurs voisins agriculteurs bantous, Soeur Marie-Albéric, la cinquantaine au caractère bien trempé, invite les Baka vivant dans les camps rattachés aux villages bantous à déménager dans un lieu vierge pour y fonder un Village Pour la première fois, ils ne seraient pas dépendants des Grands Noirs

Nous tenons là un personnage central, tant par la force du caractère que par la brièveté de son action, toujours pérenne. Les Anciens du Village sont des témoins saisissants.
Nous découvrons simultanément :
le parcours d'une sœur peu banale,
la création d'une sorte de ville à l'échelle des pygmées,
le bouleversement des pratiques sociales de chasseurs-cueilleurs,
l'émergence d'une génération cultivée aux savoirs métisses
le flou d'horizons conflictuels

Beaucoup de jeunes Baka sont employés à massacrer leur propre forêt dans les coupes sauvages exécutées avec la Scierie Mobile Lucas-Mill : Vous transportez la machine démontée directement en forêt, abattez l'arbre, le débitez sur place en madriers puis les faites transporter à la piste.

Les jeunes musiciens sont nombreux, et certains façonnent des instruments autrefois inconnus, des guitares aux cordes faites de câble de frein de vélo, dansent le Hip Hop.
Tous veulent prendre la parole, mais se demandent souvent : "Quoi dire ?". Certains le chante en Slam ou en Tibola. De vraies compositions contemporaines.
D'autres, rares, ont un destin d'exception et feront tout pour faire oublier leur origine. D'autres encore deviendront des icônes aux mains des ONG pour porter les "plaidoyers" et récolter les subventions.
Reste que pour la plupart, être un pygmée aujourd'hui au Cameroun comme dans les autres pays-frères est un sérieux handicap.

Pygmées ! Vos Papiers ! nous fera parcourir un siècle de l'histoire récente des Pygmées Baka, des premiers colons allemands aux requins contemporains de l'industrie minière.

Ce village est devenu un modèle de société en partie utopique et virtuel, qui s’est développé sans discontinuer depuis 44 ans désormais. Ils vivent à distance des Grands Noirs, presque autonomes pourrait-on croire. Pas de gendarmerie, ...uniquement les sœurs...Si la plupart des anciens, les fondateurs, sont repartis vers leurs campements d’origine, de nouvelles générations, natives du Bosquet, se projettent dans le temps comme dans l’espace.Les emprunts culturels perpétuels ouvrent d’autres chants, le voyage au travers du Cameroun devient un horizon possible, la mer est possible, demain est possible, mais comment autrement ?

Chaque année, je retourne vivre en compagnie des Baka.
Le temps de partir-revenir, les enfants sont ados, puis parents, et t’empruntent même ton nom...!?Tu les vois revenir de 40 jours de débardage après avoir marché 30 km dans la forêt, ombres d’eux-mêmes...défoncés de King Arthur (alcool à 43°), de Tramadol  (antalgique opiacé) et de tronçonnage. Claqués, éreintés.
Alors ils vont aux champs pour quelques billets, ou transportent les madriers d’arbres de traite, là sont les gros billets ... ! ... à la sortie de la forêt où de jeunes bantous, casquettes, baskets et grosses enceintes en bord de piste récupèrent le salaire des Baka en échange de cigarettes et de défonce.Le Bronx en Brousse.Des billets plus gros encore pour la viande ou...l'ivoire. Les troupeaux sont repérés par drone et infra-rouge par les commanditaires. 5 baka dont un Tomba (grand chasseur) sont déposés à proximité du troupeau avec un gros calibre et 3 balles... On ne ramasse même plus la viande.

Ce que les sœurs font, la modernité le défait parfois. Si l'école est le centre du village et les soins désormais accessibles, l'alcool trafiqué, les drogues opiacées et parfois simplement la famine maintiennent une grande part des pygmées dans une raide précarité. Le dénuement est général. La plupart des Pygmées possèdent aujourd'hui une carte d'identité et se veulent citoyens camerounais à part entière.
Quand la mine de Cobalt sera exploitée à quelques Km du Bosquet, des milliers de travailleurs afflueront de toute l'Afrique. Il faudra les fournir en « viande de brousse », au risque de faire disparaître la ressource. Venant de loin et sans leur famille, ils chercheront des femmes...

Que deviendra le village du Bosquet dans un futur proche ?

Cinéaste Anthropologue au Musée de l'Homme, j'observe l'évolution de ces Pygmées Baka qui inventent un nouveau mode de vie pour leur peuple, à mi-chemin entre les mondes anciens et modernes.

Je n'ai pourtant pas rencontré les pygmées dans l'exotisme, au cœur de l'impénétrable forêt, etc... L'exotisme je l'avais chez moi pour ainsi dire... dans ce lieu de vie qu'était devenu ma régie vidéo, investie au tout dernier étage de l'Institut des Sciences de l'Homme de Lyon. C'est dans ce grenier bien propret que j'ai rencontré mon premier "pygmée", Sumba tout droit venu de son village du Gabon, nous étions en 2004.

Il venait accompagné de Pascale, jeune étudiante, pour filmer une séance du travail ethnolinguistique qu'ils menaient ensemble sur la langue Baka. Elle avait fait de nombreuses missions en forêt au Gabon et connaissait bien Sumba, son village et sa famille. Je ne le savais pas ce jour-là, mais "en forêt" me deviendrait bientôt un appel irrésistible.
2 ans plus tard, je le rejoignais au Gabon à passer des mois à nomadiser en groupe pour chasser, cueillir, pêcher. Puis au campement de Bitouga ensuite, avec sa famille. Ce fut dans un étrange ballet qu'il me fit découvrir l'immense forêt dont son peuple connaissait tous les secrets mais aussi tous les dangers.
Je crois que mon parcours africain et ces 20 missions avec les pygmées ont tenus grâce à ces premiers enseignements de Sumba.
Comme dans un roman vraiment, Sumba est venu ensuite en France ! Il est arrivé chez moi après avoir terminé son travail avec le laboratoire de Lyon, voyez-vous ça, pour les fêtes de l'an 2010, sous la neige !
Nos regards l'un sur l'autre se sont confondus : l'apprentissage partagé de cette fameuse altérité.

Nous vivions chacun dans un monde de fou pour l'autre, presque indescriptible et nous avons compris durant ce séjour que nous partagerions éternellement ce sentiment. Baka.mov fut un film poignant, devenu tragique avec le décès de la jeune Pascale, qui eu le temps d'écrire sa thèse.
Alors j'ai quitté Lyon, la régie et Sumba pour franchir le Ntem, ce grand fleuve qui sépare le Gabon du Cameroun. Les Pygmées Baka regroupent plus de 40 000 personnes au sud-est du Cameroun où ils sont majoritaires sur un vaste territoire de forêts... dont ils sont chassés .
C'est en 2010 que je suis arrivé à Moangue le Bosquet, la "Capitale" des Pygmées.
Entre Sumba qui vit à Bitouga au nord du Gabon, Kalo qui habite à Moangue-le Bosquet à l'est du Cameroun, et Djéno qui est née au Congo, existent des liens familiaux, claniques. Leurs esprits sont liés par la même forêt, un mode de vie commun, le même ostracisme subit aussi.

Aucun d'entre eux ne peut se représenter le monde dans lequel il vit. Son propre pays dont il est citoyen, son continent, les océans, le Grand Monde.
Dans une vie, un pygmée parcourra un espace limité. Il lui faut 1 km2 par individu pour se nourrir, vivre, se soigner.

Dans cet univers de rivières, d'arbres et de plantes peuplé d'une faune innombrable, il y naîtra, il nomadisera, il aimera puis, un jour il y mourra.
La vie change. Les pistes percent cet espace encore vierge parfois. Les nations détestent les populations nomades. Sur toute la planète.
Alors on sédentarise. Villages, écoles parfois, dispensaires plus rarement. Et carte d'identité. Fondamentale Les exploitations forestières ouvertes à l'est ont créé des pistes pour la circulation des grumiers, monstres de 40 tonnes, transportant d'énormes billes de bois. Voitures héroïques, motos... C'est une route.
Tout au long, de multiples villages s'ancrent en bordure.

L'habitat ici ne sépare pas vraiment la communauté pygmée de la communauté non pygmée. Ils échangent beaucoup de biens, et même de temps en temps quelques gènes. Partout en fait, la route constitue l'avenir. Au bord de ces pistes, une occupation continue s'est mise en place, inventant une sorte d'urbanité radicalement nouvelle.
Là se regroupent les pygmées « dos à la forêt, face à la ville ».
C'est au bord de la route que circulent les gens. Si l'on a un gibier à vendre, c'est au bord de la route que l'on va se mettre pour attendre qu'une voiture vienne l'acheter. Si on veut envoyer ses enfants à l'école, si on veut aller au dispensaire...Il faut être sur la route.
Pourtant, les pygmées visibles en bord de route ne représentent qu'une fraction de ce qui se passe en réalité. Il y a des portes derrière les maisons, qui s'ouvrent sur la forêt. 5 jours par semaine ils sont en forêt ou dans leurs champs qui sont à l'écart. A l'est du Cameroun, dans la grande forêt du basin du Congo, sur un long ruban de 60 km de pistes, on peut estimer la présence de 4 000 Baka de Lomié à Messok.

Utopie née au cœur de la brousse par la volonté féroce d'une sœur véritablement révolutionnaire, ce village a surgit des marécages en regroupant 12 campements pygmées de forêt vivant de chasse, de pêche et de cueillette depuis des millénaires.

Il fut construit et habité par les Baka en quelques mois, sans la présence de "Grands noirs", ces agriculteurs bantous qui ont la très ancienne et fâcheuse habitude de les exploiter. Tout comme les pygmées ont souvent eu la très ancienne et fâcheuse habitude de voler dans les champs de leurs voisins...

La grande particularité de Moangue le Bosquet est qu'il n'a été construit et habité que par des pygmées, sans la présence de Grands noirs, les voisins bantous qui ont la très ancienne et fâcheuse habitude de les exploiter. Tout comme les pygmées ont souvent eu la très ancienne et fâcheuse habitude de voler dans les champs de leurs voisins...

LA BASE
Au Bosquet, la mission des sœurs Spiritaines est organisée comme un espace ultra opérationnel au plein cœur de la brousse.
La mission se compose aujourd'hui de plusieurs bâtiments de plein pied répartis dans une sorte de jardin botanique aéré : logements, cases, dispensaire, ateliers... Puis la chapelle naturellement.
Un grand potager produit une belle ressource. Tout y est calme. En remontant la piste, l'école ouvre un grand espace.
Partout au long de la piste, des cases organisent les familles dans les « quartiers », inventent des placettes. 10 chemins s'enfoncent dans la brousse. En quelques pas, la température chute de 8 degrés en pénétrant dans la forêt dense.

12 MISSIONS AU BOSQUET
Durant mes séjours dans les campements à l'entour et au village, mon temps est méthodiquement consacré à mon travail d'anthropologie visuelle. Cinéma documentaire et recherche se croisent parfois avec force comme dans le film synthèse « Pygmées Baka, le grand Virage ».

Les missions qui se sont poursuivies jusqu'à l'an passé ont composé un corpus de 60 courtes vidéos ethnographiques et de plusieurs milliers de photographies (portraits notamment)

Cinéaste Anthropologue au Musée de l'Homme, ce village est devenu mon "terrain", l'étude d'un modèle de société en partie utopique et virtuelle qui s'est développé sans discontinuer depuis 44 ans désormais. Ils vivent à distance des Grands Noirs, presque autonomes pourrait-on croire. Pas de gendarmerie...uniquement les sœurs...
Si la plupart des anciens, les fondateurs, sont repartis vers leurs campements d'origine, de nouvelles générations, natives du Bosquet, se projettent dans le temps comme dans l'espace.

Les emprunts culturels perpétuels ouvrent d'autres chants, le voyage au travers du Cameroun devient un horizon possible, la mer est possible, demain est possible, mais comment autrement ?

Bientôt, de toute façon un jour ou l'autre... la mine démarrera. En plein Boum des moteurs électriques, le destin de l'un des plus grand gisement de cobalt au monde est tout tracé, à 6 km de Moangue le Bosquet.
Les générations se succèdent, inventent de nouveaux mode de vie, osent voyager.

L'été dernier, un groupe de 15 jeunes de 16 à 20 ans est parti faire "le tour du Cameroun". ils avaient formé un groupe de musique "Tibola" qui construit un vrai répertoire depuis plusieurs années, leur permettant de gagner trois sous dans les villes.
Arrivés loin de chez eux, dans l'ouest, personne ne connaissait les pygmées, ni même et surtout ne s'en préoccupait. Ils étaient invités pour jouer à des fêtes, découvraient d'autres cultures sans que le complexe Grand Noir / Pygmée ne s'impose.
Pourtant au village comme ailleurs, l'alcool en sachet ou trafiqué fait son travail.
Une publication parue le 18 juin 2018 détermine que le taux de fertilité du village à chuté de 20 % en 10 ans. Proceedings of the National Academy of Sciences (comptes-rendus de l'Académie nationale des sciences des États-Unis d'Amérique)
Ils vivent aujourd'hui un monde totalement inconnu de leurs ainés. Peuvent-ils s'y intégrer ?

Vous l'avez compris si vous avez eu la patience d'arriver jusque-là, il s'agit bien d'un projet de film un peu lourd à porter.
Il est le fruit d'une expérience toute personnelle nourrie du savoir de mes collègues et de ma désormais longue pratique de la forêt et de son peuple Baka.

Ce film naît d'une évidence. Une mémoire visuelle s'est élaborée au fil du temps (en ligne ici sur YouTube)

La mosaïque des sujets filmés, fragmentaire, itérative, révèle une communauté imperceptible aux premiers regards. Les Baka s'y retrouvent et les portraits offerts d'année en année sont soigneusement conservés dans les familles.

Se pose alors la question de la restitution de cette mémoire.

Co-produit par le CNRS images et l’IRD, le premier film réalisé dans ce village en 2012 « Pygmées Baka, le grand Virage », bien que consacré aux recherches sur la croissance des pygmées Baka, a su faire état du choc de la modernité comme l'indique le titre.

La pression du grand monde s'est depuis accentuée.
L’audace et la volonté d'une génération émergente également.

Au cours des cinq dernières années, de multiples interviews ont retracé l'histoire du village aussi bien que l'expression de sa modernité. Ces documents composeront la matière première du film.

Parmis mes collègues chercheurs que j'ai eu le grand bonheur d'accompagner sur divers terrains et sujets, certains témoignerons de leur expérience comme de leur expertise.

 

Il est possible de consulter en ligne une version "élégante" et documentée par ce lien.

1 octobre 2019
Laurent Maget Laboratoire Eco Anthropologie-Musée de l'Homme
laurent.maget(at)mnhn.fr

BAKA.net Coproduction CNRS / MNHN / image et maget