OUT, IN THE OPEN (à ciel ouvert)

Land Art en perspective
Tentative de re-composition d’une "mouvance"
Laurent Maget - 2000

1 / Ancestral
2 / Représentation du paysage à travers l’histoire de l’art
3 / Les fondateurs
4 / Un art mémoriel
5 / Land Art et Territoire
6 / Deuxième génération
7 / Art Champ
8 / Conclusion / Tendances
9 / Bibliographie
10 / Signets Sites et Pages Web
11 / Documents annexes


" L’art commence peut-être avec l’animal...

Le Scenopoïetes dentirostris, oiseau des forêts pluvieuses d’Australie, fait tomber de l’arbre les feuilles qu’il a coupées chaque matin, les retourne pour que leur face interne plus pâle contraste avec la terre, se construit ainsi une scène comme un ready-made, et chante juste au-dessus, sur une liane ou un rameau, d’un chant complexe composé de ses propres notes et de celles d’autres oiseaux qu’il imite dans les intervalles, tout en dégageant la racine jaune de ses plumes sous son bec : c’est un artiste complet. "- Deleuze-Guattari


" Une fois je voyageais l’ouest et, à la limite aride du Colorado, et de l’Utah pauvre, j’ai vu, dans les nuages, énorme et massive, au-dessus du désert brûlant et doré du soir qui tombe, l’image formidable de Dieu, l’index pointé droit sur moi, à travers les rouleaux, les halos, les plis d’or qui étaient comme l’existence de l’épieu resplendissant dans sa main droite, et il disait " Allez, mon garçon, va sur la terre ! Gémis pour l’homme ! va, et grogne ! Va, et grogne seul ! Traîne ta carcasse seul ! Va, et sois petit sous mon regard. Va, minuscule tel une graine dans la cosse ! Va, va et meurs ! Et de ce monde, rapporte une image fidèle ! " - Jack Kerouac

 


1 / Ancestral
Représentation du paysage à travers l’histoire de l’art / Les fondateurs / Un art mémoriel / Land Art et Territoire / Deuxième génération
Art Champ / Conclusion / Tendances / Bibliographie / Signets Sites et Pages Web / Documents annexes

Grandes statues de Memnon à Thèbes, Bouddhas géants de Bamian, en Afghanistan, monolithes de Stonehenge, pyramide à degré de Zozer à Saqquarah, en Egypte, observatoires de Jaïpur, en Inde... la nature façonne l’homme, et l’homme, depuis toujours, a façonné le paysage, pour s’abriter, cultiver, se transporter, parfois pour célébrer à travers des formes symboliques, tel rituel, telle idée de l’espace ou de l’esprit. Ainsi de ces monuments qui préservent encore l’idée de sculpture ou d’architecture.

Mais lorsque l’on aborde les lignes du désert de Nazca, au Pérou, les géants de Cerne Abbas ou de Willington, le cheval blanc d’Ufflington, tous trois en Angleterre, ou bien encore les gravures de la vallée des merveilles au nord de Nice, nous nous trouvons devant des figures énigmatiques dont les formes symboliques sont destinées à suggérer ou à éveiller une représentation. L’homme est alors en rapport direct avec les forces brutes de la nature. Ces œuvres furent édifiées pour elles mêmes. En dehors de tout discours qui nous serait parvenu, elles continuent de nous émouvoir sans nécessairement fonctionner sur un mode de décodage (décryptage) imposé par l’analyse critique.

Doit-on entendre que ces " ouvrages sont exécutés par des personnes indemnes de culture artistique chez lesquelles donc, le mimétisme (...) ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout de leur propre fond. " ? ( Jean Dubuffet ).

Issu d’un contexte résolument révolutionnaire, " L'imaginaire qui irrigue le Land Art n’a (paradoxalement ...) rien de moderne : (il) emprunte plus aux cultures premières, originaires, dans une nouvelle forme du primitivisme, ce revers récurent de la modernité. " (Domino, 1999).

Il devient alors naturel de rejoindre Gilles A. Tiberghien lorsqu’il explique : " Le Land Art n'est, on le sait, qu'une appellation commode pour désigner des pratiques artistiques [qui] ont élu la nature comme matériau et comme surface d'inscription. " (Tiberghien, 1999)
Ce que nous appelons ici nature s’apparente davantage à une fiction, à une hypothèse qu’à une réalité. D’où un déplacement constant des repères. Tout se passe comme si un glissement de sens s’était opéré entre les deux signification du mot nature. 

Le Land Art est alors davantage une expression qu’un mouvement, une expression pour dire en Art une façon d’être, de se confronter aux cieux : " le vocabulaire de pyramide et de spirale initiatique, d’observatoire et de labyrinthe qui se retrouve fréquemment dans les projets des artistes du Land Art, trouve là l'un de ses ancrages :" (Domino, 1999).

L'artiste endosse alors un rôle, une position d'intercesseur, plus implicite que revendiquée, qui s'ajoute à celle de pionnier, d'explorateur, d'ermite : " L'histoire du Land Art commence là, dans ce retournement des places et rôles de l'observateur, et de ce qu'il observe, dans cette liberté des moyens modernes. Elle commence par des actions ou des projets, avant que l'histoire de l'art ne lui donne un nom. " (Domino, 1999)

" LAND " peut exprimer aussi bien la terre (ground) que l’on cultive ou parcoure, que le pays (nation) à découvrir. Le territoire du Land Art est donc par essence global, ouvert et infini ; Un " hors limites ".

Dans son récent essai " En chemin, le Land Art " (travail " d’ouverture sur un monde qui n’a pas donné toutes ses clés "), Anne Françoise Penders développe longuement le thème de la " sortie " de l’atelier, déterminant dans la démarche des land artistes (concept sur lequel nous reviendrons à travers la notion de " déplacement ")...

Cette " extériorité " se distingue des " peintres voyageurs " ou d’artistes comme ceux de l’école de Barbizon, en ce qu’elle ne se réfère pas au paysage, mais " l’utilise comme support et matériau. Cette constatation renverse les propositions du paysage en tant que genre à travers l’histoire de l’art " (Albertazzi, 1993).

 


2/ Représentations du paysage à travers l’histoire de l’art 
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Le paysage, à son point de départ, est une percée, une fenêtre dans un espace clos, un cadre que l’on découpe. En occident, l’histoire de la peinture porte cette vision de la fenêtre dans son rapport au paysage, ouvrant sur un arrière plan que l’on prélève sur le pays.

Dès le XIVe siècle, le paysage s’impose de plus en plus fréquemment dans la peinture (Bellini, Piero della Francesca, Pollaïolo...). C’est la veduta exposée par Alberti dans le De pictura. " Toute l’histoire de la peinture occidentale depuis la Renaissance est marquée par cette analogie avec la fenêtre (...) que l’on aperçoit à l’arrière plan des Annonciations du Quattrocento. " (Tiberghien, 1993).

Au XVIIe siècle, les Hollandais représentent le paysage pour lui-même. (Rembrandt, Cuyp, Van de Velde, Hobbema, Vermeer...). Il devient un thème à part entière.

À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, de nombreux artistes découvrent une réalité que peu d’entre eux ont regardée véritablement, et qu'ils vont explorer sous l’angle de nouveaux concepts nés en peinture à partir de Delacroix, Manet, puis Van Gogh, Gauguin, et surtout Cézanne.

Les Impressionnistes (Monet, Pissaro, Sisley) découvrent la lumière des paysages, lumière qui dévore les formes, les déstructure, jusqu’à les faire disparaître.

Cézanne organise ce que les impressionnistes avaient défait, mais interroge en même temps son travail dans une interminable lutte entre dessin et couleur. Mysticisme et rationalisme combattent en une véritable quête de vérité face à la nature.

Déjà, à la fin du XIXe siècle, les artistes sont en quête d'une vérité autonome, interne au tableau lui-même... Van Gogh et l'usage "arbitraire de la couleur", ses paysans hallucinés par l'exaltation des formes

Au XXe, chaque artiste siècle invente sa propre règle du jeu, sans que pour autant disparaisse leur expérience spatiale du paysage et de la nature. Le siècle et ses problèmes vont se projeter dans la démarche artistique, le développement de l'industrie, des sciences, de l'agriculture va modifier le paysage rural.

Matisse sera en quête d'une vision édénique, avec des œuvres où les corps et l'espace vivent en harmonie totale. Cette recherche de calme, de joie par la couleur marquera son attitude envers la nature jusqu'à la fin de sa vie.

Vlaminck, toujours dans le début du siècle, proposera avec une exaltation extrême, violente, quasi physique, une explosion de la couleur avec un sentiment dramatique utilisant des cernes noirs proches de Van Gogh. Vingt ans auparavant, Seurat, Signac, Cross se livrent à une reconstitution de la lumière par une division de la touche en pointillés, influencés par la démarche scientifique.

Dans la 2e partie du siècle, les artistes vont avant tout refléter les problèmes nés dans l'espace urbain. Le Pop art va utiliser une nature -corps humain compris- liée aux représentations médiatisées par la photographie. Mais le paysage rural sera rare, c'est le triomphe ou la critique d'une nature filtrée et dominée par la société post-industrielle

De nombreux artistes sont " sortis de leur atelier " vers l’espace et la nature avant que l'écologie ne soit devenue un thème politique. Beaucoup ont quitté la peinture pour une relation qu'ils veulent plus directe, plus immédiate avec le territoire. Ce sera le Land Art, né dans les pays anglo-saxons avec de fortes résonances européennes.

Ces artistes sont en quête d'une attitude souvent physiquement assimilatrice, sensuelle, d'accompagnement de leur relation au monde. Une approche nouvelle peut survenir de cette relation, ni soumise -comme les premiers hommes et leurs croyances apeurées et sacrificielles- ni dominatrice comme tous les modes de développement de la société industrielle.

 

 

3 / Les fondateurs
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Si l’on veut chercher une date où le Land Art émerge en tant que tel, il est probable qu’il faut choisir l’exposition " 10" ( " ten " : à la Dwan Gallery, sur la 57° rue, à l’automne 1966 ) à laquelle participaient des artistes comme Robert Smithson, Sol LeWitt, Donald Judd, Robert Morris, Carl Andre et Ad Reinhardt, entre autres. " New York est alors un centre intellectuel effervescent, mais aussi limité à quelques dizaines de personnes qui font circuler les idées du moment. Certains artistes de la Park Place Gallery, et des anciens de la Green Gallery ont alors l’habitude de se retrouver au Max’s Kansas City, l’endroit en vogue où se mêle le monde de l’art et de la mode. Ainsi se constitue un " milieu " social et idéologique d’où devait naître ce qu’on appellera plus tard le Land Art. " ( Tiberghien, 1993 )

Nourri d'enjeux idéologiques et théoriques fortement accentués par la guerre du Vietnam, ( et l'absurde destruction lui étant lié ) le Land Art est aussi un mouvement de contestation.

L’expérience du constructivisme ( Brancusi, Tony Smyth ) et surtout du minimalisme ( Donald Judd, Richard Wollheim ) fut centrale pour les futurs acteurs du Land Art. Ces artistes cherchent à s'affranchir de toutes obligations, qu'elles soient d'espace ou temporelle, par la création d'œuvres instantanées et non reproductibles.

Si le minimalisme a souvent engagé un dialogue avec l’environnement ( " scattered piecies " de Carl Andre...) il a davantage remis en cause l’espace architectural que développé l’idéologie écologiste émergeant à la fin des années 60. Posé avec une forte acuité, le problème de la spécificité du lieu est développé dans la nécessité d’un rapport réciproque entre l’œuvre et son espace d’exposition. Il s’agit de définir " l’espace intérieur " de l’œuvre, d’en finir avec " la prétendue autonomie de l’espace dans lequel s’inscrit la sculpture " ( Buchloch, 1986 ).

Il est aussi possible d’ancrer les racines du Land Art dans un mouvement comme Fluxus où les attitudes deviennent formes. Fluxus est l'un des mouvement majeur de l'art contemporain, mouvement à part entière ( au même titre que le surréalisme ) avec son pape (l'Américain Georges Maciunas ), ses coordinateurs par continents ( notamment le coréen établit en Allemagne Nam June Paik, mais aussi Robert Filliou en France ), et ses articles de foi ( conception anti-bourgeoise, fusion entre quotidien et absurde, ou encore fusion entre l’actionnisme occidental et philosophie orientale...).

De par sa volonté anti-commerciale et l'éphémère qui le caractérise ( Maciunas dit de Fluxus " il ne doit avoir aucune valeur marchande ou institutionnelle " ) Fluxus ne doit prendre part ni au musée, ni au marché de l'art.

Enfin, dans la mesure ou tout art partirait du langage, le Land Art peut se rapprocher de l’Art Conceptuel, par son auto-analyse et cette attitude qui cherche à penser le phénomène artistique selon des normes entièrement neuves. Précisons que l’art conceptuel ne signifie pas réduction de l’œuvre à une idée, à un concept, mais idée de l’art, concept de l’art.
Dans le Documentaire de Brigitte Cornand, diffusé sur Canal + le 26 septembre 1994, Denis Oppenheim nous donne un point de vue qui permet de suivre l’ évolution de son travail, du conceptuel au Land Art : " Le Land Art en tant que manifestation, de l’Art Conceptuel, en a été une des formes physiques les plus concrètes : quitter son atelier, voyager, être dans le réel, dans la réalité. Un événement comme la guerre du Vietnam se situait dans un même champ, un même niveau de réalité. Le Land Art a tiré ses idées de départ, ses données, son énergie de cette réalité extérieure et pas forcément d’un atelier ou de l’histoire de l’art ".

Ce documentaire illustre un jeu de temporalités. L’émission est un montage de vidéos d’artistes et d’interviews des principaux protagonistes des années 60 encore vivants. Le film ouvre deux types de questions :
- celle de la transmission du Land Art comme art in progress, des traces filmiques des œuvres éphémères ou "entropiques" de Robert Morris, Denis Oppenheim, Robert Smithson, Christo, Michael Heizer, Nancy Holt ;
- celle de l’entrée de ces films dans les registres télévisuels, par leur rediffusion. La première question peut recevoir un réponse partielle. L’œuvre de Land Art, dont les enjeux idéologiques et théoriques sont fortement accentués aux Etats-Unis, travaille sur des strates et des espaces qu’elle veut subvertir par l’invention de sites et l’inscription de traits, de brèches ( le fuseau horaire d’Oppenheim ), de spirales ( la Spiral Jetty de Smithson ) permettant des décadrages temporels radicaux. `


La variabilité des supports d’écriture pour ces expériences ( livre, photographie, exposition, non-site, etc...) est une composante théorique importante de cet art, qui se conçoit comme une assistance poétique à l’œuvre du temps.

Souvent plus romantique que conceptuel, le Land Art " originel " offrait ainsi des lieux nouveaux pour le corps et l’esprit. A plusieurs reprises, Tiberghien revient sur cette notion de romantisme : " On assiste avec l’art des années 60 à une tentative de redéfinition de l’art par l’art, à une volonté de sortir des classifications traditionnelles, en renouant d’une certaine façon avec le romantisme allemand. : Propositions à la fois théoriques et artistiques qui ne soient réductibles à aucun genre, et qui inventent le discours même dans lequel elles se formulent. ". (Tiberghien, 1993).

Et Denis Oppenheim semble confirmer cette proposition " C’était une forme d’art qui était lié au Monde, à la terre même, qui était en dehors de tout atelier et avait de nombreux aspects romantiques. Il n’y avait pas d’argent en jeu, on dématérialisait l’objet. Au fond, on réduisait la seule chose qu’on pouvait vendre à une simple photo, par exemple ". Romantisme donc...

Mais revenons à cette exposition de 1966, à la Dwan Gallery : " Pour moi, cette exposition (10 - ten) vint satisfaire un besoin profond. Sa direction, sa teneur, sa saveur, sa philosophie semblaient toutes avoir une qualité contemplative et infiniment sereine... Le Vietnam était devenu une question extrêmement pénible, et, pour la première fois peut-être, les Américains se demandaient s’ils étaient vraiment dans le vrai, et un grand nombre de manifestations avaient lieu... des émeutes aussi...une tension profonde. Et pour moi, cette exposition était comme un sanctuaire; c’était un peu comme me rendre dans un sanctuaire ; me retrouver au milieu de ces œuvres qui représentaient dix artistes différents avec leur approche, c’était un peu comme me rendre dans une chapelle où un site de méditation, ou de " contemplation ", qui est le terme que je préfère. Et je crois que c’est cet aspect contemplatif que Les Autres ont perçu comme tout simplement minimal. Minimal implique qu’il n’y a rien.... mais le terme renvoie les gens sur eux-mêmes leur offrant sereinement l’occasion de se pencher sur eux -même et de réfléchir. C’est surtout dans des moments comme ceux-là qu’il me semble que ce type d’art est d’une importance cruciale... " (Charles Stuckey, 1984).

Il faut situer l’auteur de ces mots, l’exceptionnelle Virginia Dwan. Héritière des exploitations minières et manufactures du Minessota, " Elle fit plus pour faire des Earthworks un élément permanent de l’avant-garde à la fin de cette décennie (60) qu’aucun des artistes bénéficiant de son soutien financier. Sans elle, ces corps à corps poétiques avec la nature n’existeraient pas (...). Discrète et réservée, timide parfois mais impérieuse, Virginia Dwan émet une aura de mystère et d’élégance qui rappelle celui que nous associons au monde des grands films classiques. Je me souviens avoir vu un jour dans sons appartement du Dakota building une colonne en acier inoxydable, ayant sur ses faces des légendes gravées " The Torrent " (1926), " Flesh and the Devill " (1927) " Wild Orchids " (1929) " Queen Christina " (1933) et " Ninotchka ", (1939). Et je compris cet hommage discret de Walter De Maria à Greta Garbo, sans jamais mentionner le nom de l’actrice, se trouvait à sa place " (Jan van der Marck, 1991).

Aucun doute quant au fait que les œuvres majeures et fondatrices du Land Art ( dont l’évolution et le batissement sont aujourd’hui toujours contemporains comme celles que prolonge Michael Heizer ) trouvent chez elle leur élan, leur dynamique. Aucun doute non plus, quant au fait que ces œuvres pérennes " in situ " puissent échapper finalement à la spéculation, contredisant par là cette fuite prétendue des Land Artistes au loin de la " galerie ". et de l’objet artistique dématérialisé.

Le Land Art reste pourtant l’une des attitudes les plus abouti de " dépassement de la clôture marchande ". Mais cette démarche ne trouve sa réalité qu’à travers un processus de financement qui reste soumis aux impératifs de rentabilité. ( tout au long de ce travail, je n’aurai découvert que fort peu d’informations quant aux coûts réels des œuvres. Les quelques éléments collectés ne peuvent rendre une idée réaliste des mécanismes financiers qui, hier comme aujourd’hui, régissent l’économie du Land Art).

D’emblée, solitaires, certains parmi les plus importants de cette " aventure " établissent cependant une naturelle distance. Dès 1970, Richard Long se détourne : " Pour moi le " Land Art " est une expression américaine. Cela veut dire des bulldozers et de grands projets. Il me semble que c’est un mouvement américain; c’est de la construction sur de la terre qu’ont achetée les artistes. Le propos est de faire un grand monument permanent. Cela ne m’intéresse pas du tout. " (Gintz, 1986)

On peut effectivement comprendre cette préoccupation de Richard Long en constatant que certaines œuvres de Michael Heizer produites par Virginia Dwan " en mettant en scène des moyens énormes - plus proches de ceux de l'entrepreneur que de ceux du sculpteur - pourraient laisser supposer qu'elles cherchent à entrer en compétition avec le processus d'évolution naturel du paysage. " (Penders, 1999)

Hamish Fulton ne voit, lui, dans le Land Art, que le prolongement " de la prétendue conquête héroïque de la nature ". (Auping 1989)

Enfin, il me semble important d’ajouter en annexe à ce mémoire, le texte intégral de Jan van der Marck, dans la mesure ou le catalogue dans lequel il est publié reste introuvable, la Galerie Montaigne ayant malheureusement disparu.

 


4 / Un Art " mémoriel "
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Art du process, Art de l’inachevable... Les artistes du Land Art valorisent le temps de l’expérience de l’œuvre. D’où un souci cultivé de la captation, de l’intégration des techniques mémorielles au processus même de l’œuvre. D’une manière plus générale, les artistes du "contemporain" déclinent des tracés multiples, sur des registres variés et souvent complémentaires ( la télévision, le film, la photographie, le récit, le livre, la carte, la peinture même, chez Christo par exemple).

Ce qui les caractériserait dans leur différence avec l’art moderne serait que les trois opérations " exposition, information et enregistrement " sont devenues solidaires dès la conception. Que ce soit dans l’art conceptuel, le Land Art ou Fluxus, tous ces mouvements où les attitudes deviennent formes, l’œuvre conjugue ces trois moments et les rend indissociables. Le mode d’existence de l’œuvre dépend de la puissance et de la capacité d’amplification du support enregistreur...

Et c’est ainsi que Virginia Dwan défini l’un des aspect les plus novateurs (révolutionnaires !) des artistes de Land Art qu’elle expose : " On pouvait les acquérir comme œuvres d’art ( dessins et photographies ), mais, et c’était là le plus important, ils renvoyaient à un autre espace. Et bien sûr ce n’est pas là ce que d’autres galeries pouvaient faire : les galeries voulaient que les objets soient bien là pour pouvoir êtres vendus. Et en ce sens, je crois qu’ils n’en étaient que plus révolutionnaires... " (Charles Stuckey, 1984).

Dans un travail comme " A line made by Walking " de Richard Long, l'artiste marche à travers une prairie, imprimant la marque de ses pas sur la terre. Il ne peut présenter aux spectateurs qu'une représentation sous forme de croquis, photographie ...

Dans les années soixante-dix, certains artistes se sont servi de la télévision pour transmettre directement l’œuvre en cours, voulant faire éclater les mécanismes établis du marché de l’art. Il faut ici rappeler le travail de Gerry Schum : la galerie télévisuelle Land Art, inaugurée dans un studio de télévision à Berlin, en avril 1969 " la communication est en passe d’acquérir une dimension inconnue jusqu’alors. L’exposition télévisée sur le Land Art montrait des situations crée par des artistes dans des paysages plus ou moins imposants. Tous leurs projets ont en commun un élargissement extrêmement accentué du plan pictural : Les grands espaces ont remplacé la toile du peintre. En 1969, on a emballé dans le paysage des idées réduites à un minimum conceptuel, exprimées en des gestes picturaux d’une grande économie ". ( Gerry Schum, 1979 / introduction à l’exposition télévisée " Identification ". Amsterdam, Stadelejik Museum. 1979 ). Six mois de travail avec les artistes, 400 mètres de bobine se résolvent dans un court programme de remarquable travail télévisuel, qui n’existe que quand il atteint immédiatement les destinataires dans leur sphère privée, sans le détour d’une exposition. Il comporte le montage d’une séquence d’inauguration, filmée dans un studio de télévision à Berlin, et le film Land Art, auquel participaient des artistes européens et américains. Pour ces derniers, les contributions d’Oppenheim et Smithson furent tournées sur la côte est des États-Unis, celles de Heizer et de De Maria en Californie. La galerie télévisuelle, diffusée sur le SFB ( première chaîne allemande ) le 15 avril 1969 à 22h40, eut une audience de 3 % de parts de marché, soit 100 000 spectateurs.
En réalité peut importe la manière dont est représentée l’œuvre, sa valeur n’existe qu'au moment de sa création, l'œuvre d'art se confond avec la création artistique, pourtant l'artiste se soucie du public : comment faire partager un art lorsqu'on fuit les institutions traditionnelles ?

Il faut donc reconnaître que l'art contemporain utilisa, dans les années soixante, la télévision pour s'auto promouvoir, notamment aux Etats-Unis, abondance de capitaux oblige. À l’origine l'art contemporain utilisa la télévision pour mieux se jouer des contraintes du marché de l’art, le média étant considéré comme un flux....

In fine, toute production devient inséparable d’une communication. " Un " projet opératoire " (est) donc par essence aussi un " projet de communication " " ( Penders, 1999 ). Si " production et consommation peuvent être à l’origine de deux objets étrangers l’un à l’autre (...) l’artiste qui produit (...) ne peut ignorer qu’il travaille pour un récepteur ". (Eco, 1965).

 

 

5 / Land Art et Territoire
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La plupart du temps, les Land Artistes utilisent la nature comme espace d'exposition, et non pour elle même. Earthwork, appellation particulière utilisée par Robert Smithson, traduit bien ce rapport : la terre en tant que matériau, le paysage en tant que cimaise, en évacuant l'imaginaire de la ruralité : " Je pense que nous considérions tous le paysage comme étant coextensif à la galerie. Je ne crois pas que nous envisagions la question en terme de retour à la nature. Pour moi, le monde est un musée. " (Nancy Holt, 1979) Le paysage donc, tel un lieu d'échanges, une zone de médiations incessantes ?

Cette attitude évoluera considérablement avec les générations suivantes, qui sauront prendre en compte cette notion d'environnement. Ceci étant, que faut-il entendre par "environnement" dans la mesure même où l’on ne peut discréditer la thèse d'une perméabilité de tout " paysage " au bagage culturel qui l'informe.

Dans un récent colloque organisé par la revue Canadienne Espace, Gilles A. Tiberghien, utilise la notion de " hors-champ ", empruntée au cinéma et la vidéo, pour appréhender les multiples aspects que peut prendre, dans la création contemporaine, la figure du " paysage non-urbain " que serait la nature ( par opposition au paysage urbain que serait l'architecture ? ).

Ainsi dans son introduction à l'ouvrage Land Art, puis dans sa conférence à l’IAUG de Genève, il nous laisse entrevoir l'écart, sinon la solution de continuité, entre les préoccupations des artistes pour qui ce terme fut forgé, faute de mieux, et ceux qui, aujourd'hui, trament au fil de leur pratique un rapport avec la nature : " Cette dénomination reste extrêmement floue (...), et, faute de savoir ce que ce terme recouvre, on lui a préféré des dénominations encore plus vagues, constituant en tout cas des ensembles beaucoup plus vastes telles que "art processuel", "art environnemental", "art écologique" ou "art total", etc... " ( Gilles A. Tiberghien, 1993 ). Plus loin, déniant au Land Art toute notion de mouvement, et a fortiori d'école, il s'autorise le terme d ’" aventure artistique ".

Il semble pourtant que le terme de " mouvance " proposé par A.F. Penders corresponde davantage aux acteurs du Land Art pris dans leur multiplicité : " Ni appellation contrôlée, ni étiquette. Juste un concept suffisamment souple pour s’appliquer " en tant que concept ouvert " ( et par essence mouvant ) à un ensemble d’œuvres et d’artistes qui évoluent dans la même sphère. " ( A.F. Penders, 1999 ).

Dans cette " sphère artistique ", l’œuvre naît d'une " mutation " ( trans-figuration ) où le paysage reçoit une signification autre, sans perdre sa réalité originelle " La volonté de l'artiste institue le paysage en tant qu'œuvre ou l'œuvre en tant que paysage ". ( A.F. Penders, 1999 ).

On ne peut alors éviter de penser au célèbre ouvrage sur " La Société du spectacle ", contemporain des premières interventions des

Land artistes : " Les communautés et les individus ont à construire les sites et les événements correspondant à l’appropriation (...) de leur histoire totale. Dans cet espace mouvant du jeu, (...) l’autonomie du lieu peut se retrouver. " ( Debord, 1967 )

Le déplacement paraît s'imposer comme principe générique, fondateur de l'œuvre, indissociable du processus créateur. Qu’il s’agisse d’un déplacement de matière, de celui de l’artiste ou encore du spectateur, il fonde parfois " l’œuvre en soi ".

Pour certains acteurs majeurs du Land Art, le voyage ( ou plutôt l’itinérance ) peut devenir lui-même site, l’itinéraire devenant le matériau du processus de création : " Le lieu de l'œuvre pourrait dans ce cas être envisagé comme " mouvant ". (...) Ainsi, le voyage deviendrait point d’ancrage. Et même, parfois, œuvre en soi ". ( Penders, 1999 ). Beaucoup d’entre eux ont fondé leur travail sur ce principe, tels que Richard Long, David Tremlett, Hamish Fulton et Jean Clareboudt. Il serait possible d’envisager pour eux l’expression de " performances nomades ", et rejoindre par là le concept de " Géopoétique " développé par Kenneth White quelques années plus tard.

Il faut concevoir que la géographie n’est pas seulement physique et humaine, mais aussi mentale, comme le paysage : " La terre n’est pas un élément parmi les autres, elle réunit tous les éléments dans une même étreinte, mais se sert de l’un et de l’autre pour déterritorialiser le territoire (...) Le concept libère l’immanence de toutes les limites (...) La révolution est la déterritorialisation absolue, mais] n’est pas sans reterritorialisation. (...) Déterritorialisation et reterritorialisation se croisent dans un double devenir ". ( Deleuze et Gattari, 1991 ). Ainsi, " La charge symbolique et profondément archaïque d’un tas de terre dans une galerie donne aux gestes du Land Art toutes leur radicalité. " ( Tiberghien, 1993 )

. Dès 1960 Walter De Maria imagine " un chantier artistique [qui] serait une sorte de grand trou dans le sol (...) l'excavation du trou ferait partie de l'art ". (Lippard, 1973)

Cette notion de l'extériorité, de la " limite " semble aussi, à l'époque, investir le débat philosophique. Jacques Derida dans "Marges de la philosophie" ( 1972 ) associe les termes de "marge" avec ceux de "marques" - en tant que traces - et de "marche" - en tant que déplacement hors de la limite - avec les concepts similaires véhiculés par le land art : sortie, déplacement voyage... ( cité par Penders, 1999)

Mais sortir des musées et des galeries, c’est aussi les prolonger, vouloir réinventer l’art. Le Land Art n’est pas seulement un art du déplacement ou du paysage; celui-ci n’est qu’un facteur, primordial chez Long, quasi inexistant chez Heizer.

Au-delà de la distanciation que le Land Art opère avec la réification marchande de l'œuvre, il exprime une pensée critique des rapports de l’homme à la nature, manifestant ainsi une constante tension entre la volonté d’un dialogue avec l’espace et l’inexorabilité des lois de la physis dominée par l’entropie.

On a parfois qualifié le Land Art " d’art environnemental ", mais les réalisations de certains artistes transforment parfois les paysages avec violence, lorsque Robert Smithson déverse des m3 d’asphalte dans une carrière ( " Asphalt Rundown ", en donnant ses indications au téléphone depuis une galerie de New York ! !), ou bien encore quand Michael Heizer entaille un ravin, scarifiant le site à la manière des entreprises de travaux publics ( " Double Negative ").

" En investissant les lieux extérieurs, les artistes de la mouvance du Land Art feront du lieu/site une œuvre en soi, une œuvre à parcourir " ( Penders, 1999 ). Un journaliste Suisse traduisit ainsi exactement cette notion d’œuvre à parcourir à propos du " Mont Solaire ", cadran solaire réalisé avec l’ombre du Mont-Saint-Michel : " L’homme touche le temps, Est dedans, marche dessus, devient minute et se fond dans l’heure universelle. " (Aubert, 1988).

Robert Smithson insiste sur la nécessité de pratiquer l’œuvre " in situ " : " j’encourage en fait les gens à se rendre sur le site, puisque le site fait partie de l’œuvre. [ Se déplacer ] devient partie intégrante de la signification et vous êtes confrontés à la physicalité du matériaux " ( Smithson, 1968 )

L’artiste s’appuie sur la notion d ’ " inducteur d’expérience " propre à la découverte " in situ ".

Virginia Dwan prit part à de nombreuses " expéditions ", pas nécessairement à la demande des artistes : " C’est vraiment une expérience totale. Vous êtes dans un lieu, un temps et un espace, d’une manière qu’il est très difficile d’expérimenter dans un autre contexte tel qu’un musée ou un domicile, où vous avez d’autres objets qui interfèrent avec votre pensée ". ( Charles Stuckey, 1984 ). Son témoignage de la découverte ( l’ " expérience " ) de " Spiral Jetty " est d’ailleurs exemplaire : " Je me se sentais comme tournoyer dans l’espace. Je me se sentais comme sur une roue sur l’espace extérieur et les points de références étaient perdus ". ( Charles Stuckey, 1984 )

J’ai pu constater par moi-même l’effet produit par la découverte d’une installation de Land Art " in situ " après un long déplacement en pleine nature. J’avais installé 20 tonnes de glace sur une coulée de calcaire (" la guerre du froid ") dans la carrière de Boulbon, en Avignon. Cette installation avait naturellement une durée de vie très courte (en plein mois de juin !) et son existence était prévue pour une soirée et la nuit qui suivait. Le lendemain, lorsque je revins sur le site pour un ultime coup d’œil, je découvrais une dizaine de randonneurs entourant ce qui restait des pains de glace en fonte, et qui demeuraient tétanisés par le choc de cette matière paradoxale, impossible, sous le soleil ardent du midi. Chacune de mes créations à l’extérieur à produit les mêmes effets sur les spectateurs, et je présenterai dans une prochaine communication, une œuvre anonyme que le hasard m’a permis de découvrir quelques semaines avant de rendre ce travail, après une longue randonnée en plein cœur des Cévennes. Un choc.

Je conclurai cette partie par le témoignage de Jan van der Marck découvrant le " Double Negative " de Michael Heizer.: " Je me rendis à nouveau dans le Nevada et louais un petit avion. C’est ainsi que nous pûmes découvrir " Double Négative " sous deux angles, un angle interculturel et une perspective aérienne oblique. Et quelle vision fascinante ce fut, prouvant au moins l’argument de Virginia Dwan que le besoin humain en expérience artistique transcende l’attraction des objets portables et des tableaux accrochés sur un mur ". (Jan Van Der Marck, 1991)

 

6 / Deuxième génération
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Art Champ / Conclusion / Tendances / Bibliographie / Signets Sites et Pages Web / Documents annexes

" Ce terme générique de Land Art est le produit d'une construction intellectuelle qui permet de regrouper des artistes très différents au moyen d'un certain nombre de paramètres formels et historiques (...), il n'y a pas grand sens à utiliser ce terme pour des artistes plus jeunes ou venus d'autres horizons " ( Tiberghien, 1999 ).

Dans sa contribution à l’IAUG de Genève, Tiberghien considère que ces artistes qui travaillent dans et avec la nature " vont s'employer à élaborer d'autres scénarios aux ambitions plus restreintes et plus sélectives ". C’est dans cette perspective que nous devons selon lui considérer le travail remarquable d’Andy Goldworthy ( né en 1956 ), rangé dans la catégorie d’une " famille d'artistes qui pratique ce que l'on pourrait appeler un art végétal "

Installé en Ecosse, ce " sculpteur " contemporain a exploré pendant des années différents lieux dans le monde, en laissant derrière lui des sculptures d’orfèvre en harmonie avec l'environnement. Ses matériaux sont extraits de la nature elle-même et ses œuvres, comme beaucoup de choses naturelles, sont essentiellement éphémères. Pour Goldsworthy, regarder et comprendre la nature est un moyen de renouveler nos liens avec la terre (land).

Des artistes comme Andy Goldsworthy, ou Nils Udo se refusent en effet à laisser de leur œuvre d'autres traces que la vie elle-même ne soit prête à laisser. Agissant sur des débris végétaux, sur les pétales, les feuilles, les brindilles, les pierres, ils laissent pour un temps les signes de la présence humaine, signes qui interfèrent avec des processus naturels difficilement contrôlables. Dans l’un de ses livres, Andy Goldsworthy note : " Feuilles d'iris agrafées entre elles par des épines remplies en cinq endroits par des baies de sorbier / attaque des poissons par en dessous / difficile de conserver toutes les baies becquetées par des canards, 29 août 1987... " À la fois délicate, fragile, et d'une pureté visuelle quasi abstraite, cette œuvre intègre les événements qui président à sa destruction future, événements totalement naturels, comme la consommation des baies par les oiseaux. Ailleurs, ce sera la fonte de la glace, le flétrissement des corolles, la fanaison des feuilles...

Toujours dans cette famille " art végétal ", nous découvrons chez Tiberghien " quelqu’un comme Michel Blazy (né en 1968) qui compose un Guide des mauvaises herbes et fait croître en intérieur, des végétaux sur des surfaces sans profondeur. Ou Jan Kopp (né en 1972) qui, en 1993, a planté 28 millions de graines de coquelicots sur la butte d'un terrain vague à Ivry. " (Tiberghien, 1999).

À suivre cette perspective " d'autres scénarios aux ambitions plus restreintes et plus sélectives " il faudrait alors assimiler dans la catégorie " d’artistes végétaux " les travaux de créateurs qui troquent leur atelier contre un laboratoire ou un jardin et apprivoisent des moisissures, des semences, des mousses ou des abeilles... de l'art biologique en quelque sorte.

Dans une galerie montréalaise, des dizaines de personnes ont pu contempler des fioles remplies de moisissures aux poils rouges, jaunes ou bruns. Dans des flacons de verre soufflé aux formes originales, l'artiste Annie Thibault a cultivé des moisissures dont les couleurs et la texture se transformaient sous les yeux des visiteurs. Certains critiques ont dit de ses formes abstraites et colorées, qu'elles étaient à la fois " inquiétantes ", " dangereuses " et " poétiques ". 

Sylvie Fraser, quant à elle, travaille avec des herbes, des fleurs et de la mousse. Comme les semences, plantées dans de grands bacs, continuaient à pousser pendant la durée de l’exposition, les images de départ se sont retrouvées complètement transformées. Au début, la culture envahit la nature, puis la nature reprend le dessus sur la culture et la fait disparaître.

Plusieurs de ces sculptures végétales furent exposées à la galerie Circa de Montréal, en 1995. Sur des structures de treillis métalliques recouvertes de terre, elle a planté du lierre et des herbes qu'elle arrosait chaque matin. Le Jardin botanique a par la suite acheté à Sylvie Fraser plus d'une dizaine d'œuvres, que les visiteurs peuvent toujours contempler aujourd'hui. Les plantes originales ont toutefois été remplacées par une nouvelle génération de végétaux. En ce moment, elle prépare un projet où elle fera intervenir des abeilles. Elle a renouvelé le genre sans retomber dans le Land Art et l'Arte Povera 

Déjà à la fin des années 1960, en Italie, des adeptes de l'Arte Povera utilisent en effet des matériaux écologiques : ils sculptent des troncs d'arbres ou agencent des amas de feuilles, par exemple...

Même si des artistes s’intéressent depuis une vingtaine d’années aux plantes, ces manifestations artistiques n'ont pas encore d’étiquette. Cela arrive toujours longtemps après l'émergence d'un mouvement. Cela dit, ces artistes à l'âme de biologistes partagent un questionnement sur le processus de création artistique et sur la vie.

Il semble effectivement que l’on s’écarte là du Land Art et de son contexte, où la nature est " un réseau de signes à déchiffrer, un ensemble de signatures à décrypter. " (Tiberghien, 1999).

Plus proche du Land Art (dans le sens d’Earth Art), le travail de Mel Chin concerne des sites pollués où il fait pousser par phytoremédiation des plantes capables de se nourrir de produits toxiques. " En collaboration avec un chercheur, Rufus L. Chaney du Département américain d'agriculture, l'artiste, financé par le Walker Art Center a pu disposer d'un terrain de 300 acres contaminé par du cadmium échappé de piles usagées. Six sortes de plantes qui ont des fonctions d'"hyperaccumulateurs" ont été sélectionnées, leurs racines absorbent les déchets polluants et nettoient ainsi le sol. Récoltées, elles sont ensuite brûlées et constituent un efficace dépolluant naturel. La frontière entre l'artistique et ce qui ne l'est pas est devenu très mince mais l'opération en appelle encore à un vocabulaire et à des critères formels - forme de mandala, plantations sous forme de rituels, etc. - qui relèvent du monde de l'art " (Tiberghien, 1999).

Dans ce croisement d’attitudes où se mêlent la nature, l’art et le paysage, une autre famille s’insère discrètement en un subtil glissement vers ce que l’on pourrait appeler de " l’art agronomique ".

 

7 / Art Champ
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Sous l'impulsion de l'Association des producteurs de maïs (AGPM), Nil Udo a créé en 1994 une vaste spirale composée de différentes variétés de maïs, à Laàs (Pyrénées-Atlantiques), sur deux hectares. L'œuvre fut réalisée sous les conditions et avec les méthodes de l'agriculture actuelle. Sculpture vivante, elle s'est étalée dans le temps et dans l'espace, en exposant la nature et le travail de l'homme sur cette nature.

À la limite de l’art, les compositions agricoles de Jean-Paul Ganem impliquent l’adhésion d’acteurs très différents. Visibles depuis les avions en phases d’atterrissage et décollage sur le doublet nord de l’aéroport Roissy-CDG, ces " Articulations ", actuellement en préparations, utilisent des semences choisies en fonction des couleurs attendues : la phacélie pour le violet puis le noir, la moutarde pour le jaune, des variétés de blés pour les nuances de vert, la terre laissée nue pour les tons de bruns...On se trouve pourtant là dans une contradiction formelle avec l’esprit qui animait les " inventeurs " du Land Art quant au nécessaire déplacement du spectateur vers l’œuvre. Confortablement installés dans leur siège, les passagers des vols internationaux " consommeront " l’œuvre d’un œil distrait, entre démonstration des hôtesses et calcul du décalage horaire : " On constate aujourd’hui que le territoire est devenu un lieu de transit (...) l’accélération des déplacements provoque l’absence du regard " (Blin, 1998)

Plus simplement, l’action menée par les " Champs d’art du Lauragais " ( qui associe plasticiens et agriculteurs pour mettre en scène le paysage ) ne fait pas mystère de ses objectifs : " Ces créations doivent favoriser une fréquentation touristique nouvelle destinée à percevoir, lors de randonnées guidées, les sites sous un angle esthétique. Il n'est pas question de transformer le paysage rural en galerie d'art de plein air ; les parcelles font partie de la structure et ne servent pas de faire-valoir à des œuvres, comme le fait le "Land Art" ". Cette attitude prend valeur de " produit touristique " depuis 1996 avec l’apparition des labyrinthes végétaux qui accueillent jusqu’à 400 000 visiteurs en France durant l’été ( !).

Avec la conviction que Culture rime très bien avec Agriculture, le groupe céréalier de Villeneuve-l'Archevêque dans l'Yonne a créé " La belle jachère ". Les agriculteurs, au cours de la campagne 1993-1994, avaient été invités à laisser libre cours à leur imagination pour réaliser un agencement artistique jouant sur les formes et les couleurs des espèces cultivées.
Le Centre d’Art Contemporain de Vassivière (en Limousin) a conçu avec le peintre Jean-Paul Fane, et l’aide enthousiaste de deux agriculteurs, des figures de plus de 10 ha chacune. À l'automne 1992, furent ensemencées des parcelles de blé, de colza, de trèfle : Là, se trouvent associés l'invention de formes sur de grandes surfaces cultivées et les événements biologiques de la croissance des plantes. Ces compositions forment un tableau grandeur nature dont les auteurs sont aussi bien le concepteur que l'agriculteur qui a semé, soigne et récoltera.

À l’écoute des exigences de la nature et des contraintes agricoles qu'il s'est attaché à respecter, le peintre voit l'agriculteur non seulement comme le nourricier de la terre mais, également, comme le jardinier des paysages. La pleine végétation du printemps 1993 évoquait l'ombre d'une ville sur le champ. De telles figures spatiales sont appréhendées à un double niveau : l'un esthétique, c’est-à-dire selon le sentiment immédiat du plaisir, l'autre conceptuel, c’est-à-dire selon le rôle, l’utilité reconnue de l'objet. Ces interventions s'enrichissent des sensations de la vue, mais aussi de l'odorat (colza en fleurs), du toucher (épi de céréales) ou de l'ouïe (bruissement des tiges).

Ces " installations agronomiques ", qui se situent à la frontière de l’art et du travail des paysagistes, rappellent certaines des créations que James Pierce commença à partir 1972 dans le Maine, à la " Pratt farm ", et dont la plus célèbre reste probablement " Earthwomen ". Face contre-terre, mesurant 10 m de long pour une hauteur d’1,60 m, ce corps de femme végétal, orienté vers le couchant du solstice d’été, change naturellement d’aspect au cours des saisons. Ces installations que John Beardsley définit comme de " l ’art dans le paysage " prolongent une tendance de l’art moderne identifiée comme du " primitivisme romantique " par Robert Goldwater en 1938 dans son essai " Primitivisme in modern art ".


8 / Conclusion / Tendances
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" (...) la mouvance du Land Art est ce maillon essentiel, pivot de tendances latentes, souvent déjà présentes, dont il fait la synthèse, et, surtout, qu’il rend visible ". (Penders, 1999). La sortie de l’atelier a influencé l’institution artistique et les " structures de monstration de l’art ". Les " parc/musées " comme Vassivière (1983) que je viens de citer en exemple, mais aussi Kerguéhenec (1986) ou Grizedale (1977) en Angleterre, invitent des artistes à créer des œuvres (éventuellement éphémères) pour un public qui se déplace librement. Des parcs " de loisir " se créent autour d’œuvres d’artistes se référant au Land Art, comme le Vallon du Villaret, près de Mende. Des expositions de longue durée telle qu’" Art grandeur nature " à la Courneuve accueillent d’importantes installations d’artistes directement issus du Land Art, comme Denis Oppenheim. Dans la Meuse, avec " Le Vent des Forêts ", six villages forestiers invitent des artistes internationaux à porter un regard imprévu sur la nature. De bois, de pierre ou de fer, leurs créations jalonnent les deux boucles d'un sentier de 40 km sur 5000 ha de forêt que le public découvre à pied, à cheval ou en VTT.

James Denevan qui travaille dans la tradition du Land Art " va au-delà de ce modèle car le fait d’assister à ses créations est peut-être encore plus important que le spectacle des œuvres qu’il laisse derrière lui " (Jane Rosen, 2000). Cet artiste qui trace d’immenses dessins sur le sable des plages de Los Angeles crée ses formes en conjuguant la danse, le taï chi et la méditation : " Je travaille avec mes sens. La composition de l’espace est induite à travers un acte de foi. Je ne fais aucun plan et n’ai aucune idée de ce que je vais créer quand je vais sur le sable. Je veux communiquer directement avec l’instant. " Son travail devient alors une performance Land Art à laquelle assistent des centaines de promeneurs. Il rejoint d’une certaine façon la démarche de Christo qui n’investit jamais d’espace désertique, coupé de toute présence humaine : " travailler à l’extérieur, c’est avant tout travailler dans le monde, entrer en contact avec un environnement et ses habitants " (Penders, 1999).

La sociologie est devenue partie intégrante de l'art et de son histoire. Ce qui veut dire que le contexte d'une œuvre, le cadre et l'infrastructure sont aussi importants que son contenu : " Nous vivons l'âge de l'information -et de la propagande- de la publicité, de la présentation et de l'empaquetage. Christo est l'artiste qui, comme nul autre, a réussi à combiner dans son art la force du créateur individuel aux méthodes de la société industrielle et post-industrielle : le capitalisme, la démocratie, l'enquête, l'expérience, la collaboration et la coopération. (...) Une œuvre de Christo ne peut exister qu'avec la coopération des gens parmi lesquels elle existe. Contrairement à d'autres œuvres d'art dites publiques, une œuvre de Christo ne peut jamais être imposée, elle ne peut exister que par permission, et cette permission n'est pas passive, mais active. " (Vaizey, 1990)

Une autre tendance se révèle à travers les recherches sur le Web, qui n’est pas le fait d’artistes ou de structures de monstration. le corps enseignant utilise désormais fréquemment le prisme du Land Art pour sensibiliser les élèves à l’environnement ou bien ancrer leur motivation vers la géographie, la biologie, l’analyse du paysage. L’exemple de l’opération " Le roi des Aulnes " montée en 1990 par le CPIE de la vallée de l’Orne, en collaboration avec la DRAC, est significatif. Avec l’artiste Nils Udo, les élèves ont construit un bateau de 15 m de long en sable sur une dune. À travers cette création, plusieurs thèmes furent abordés : Le Land Art bien sûr, mais aussi l’environnement, les épaves de bateaux, la pêche, les déchets...

Enfin, dans nos pays occidentaux, où désormais près de 80 % de la population est citadine, le territoire urbain devient une autre " nature ". La ville s’est transformée en support et outil d'expression. L´élan entropique que Robert Smithson reconnaissait dans les nouveaux monuments se développe dans un art réalisé pour les parcs et les jardins publics, à la conception même de ceux-ci.

Les institutions réfléchissent aux connexions et aux transitions entre densité urbaine et espace vert, ainsi qu’à la complicité entre art et architecture.

Ce qui apparaît également comme une grande rupture dans le rapport entre l'art et la ville, c'est que l'on a toujours utilisé l'art pour célébrer des éléments de la permanence. Aujourd'hui les artistes dans la ville travaillent fréquemment à la célébration de l'instant. Le phénomène de "l'installation" dans les galeries est une sorte de laboratoire de confrontation à l'espace avant que ces "installations" trouvent leur véritable contexte dans la dimension urbaine.

Pour la création du tramway de Strasbourg, un comité de réflexion pluridisciplinaire aboutît à la conclusion que le tramway devait être un moyen de requalifier le centre ville. Des artistes furent missionnés pour travailler sur le sol, les murs, le nom des stations, les tickets... dans le but d’imaginer des structures d’identifications pour les futurs usagers.

Si l’on opte systématiquement pour la permanence, on risque la dérive vers l'utilitaire, le mobilier urbain D'où l'importance des interventions éphémères.

La cinquième édition d' " Art Grandeur Nature " dans le parc départemental de La Courneuve se présente comme " un exercice de Land Art semi-urbain " en accord avec la vie du parc : le temps, la vie sociale et la vie végétale.
Les interventions de Yann Kersalé à Rennes sur la Villaine, ou les installations de " Land Art Urbain " à Belfort en Décembre 99 dans le cadre du festival d'art urbain "Les nuits savoureuses", consistent en un marquage lumineux sur le lit même des fleuves et rivières.

Qu'ils travaillent à l'échelle du territoire, sur les interstices cachés d'un mur ou la démolition de bâtisses, les artistes urbains ont beaucoup à voir avec tous les développements qui ont mené la sculpture à habiter l´ordre de la terre. Entre la matière brute et l'espace, entre le monde extérieur et l'espace psychique, les territoires urbains sont devenus supports et médiums de l'acte artistique.

L’impression des " tampons de regards " que je mène depuis le début de cette année rejoint ce " réseau de signes à déchiffrer ", cet " ensemble de signatures à décrypter " dont parle G.Tiberghien. Ce sont des fragments urbains prélevés comme des échantillons de territoire, marques d’une limite, d’une frontière entre réseaux.

D’une certaine façon, nous avons vu que l’histoire du Land Art est une éternelle quête, parfois nostalgique et romantique, une recherche perpétuelle du Lieu/Site qui s’échappe toujours plus loin, en un ailleurs évanescent. C’est ce qu’invoque un Walter De Maria en affirmant que l’invisible est visible, que la solitude est l’essence de l’art...

" Se reconnecter avec les lieux, la terre et l’environnement purement physique de notre existence et le percevoir" (Holt, 1984)

L’expérience du Land Art est un laboratoire où s’élaborent en permanences de nouvelles pratiques, amplifiées par un nouveau mode de réception des œuvres. C’est un " Art du Monde " (Earth Art) comme il y a des " Musiques du Monde ".

 

9 / Bibliographie
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Liliana ALBERTAZZI, " Différentes natures. Visions de l’art contemporain ". Délégation aux arts plastique. Paris. 1993

Jean-François AUBERT, " La baie des heures " Le Matin de Lausanne, vendredi 23 septembre 1988).

Michael AUPING, 1984, " an itv with Hamish Fulton ", common ground : five artists in the florida landscape Page 87 in earthwork and beyond). in John BEARDSLEY, " Earthworks and Beyond ", New York, Abbeville Press, Inc., 1984

John BEARDSLEY, " Earthworks and Beyond ", New York, Abbeville Press, Inc., 1984.

Odile BLIN, Contribution au 2nd International Art Meeting. Galeria Sztuki Wspotczesnej. 1998.

B. BUCHLOCH, " Construire (l'histoire de) la sculpture ". In : " Qu'est-ce que la sculpture moderne ? " 1986. Paris, éd. Centre Georges Pompidou.

Gilles DELEUZE, Félix GUATTARI, " Qu’est ce que la philosophie ? ", Paris, Ed. de Minuit, 1991.
Jacques DERIDA, " Aux marges de la philosophie " Paris, Ed. de Minuit, 1972.

Umberto ECO, " L'œuvre ouverte ", Paris, Seuil, 1965.

Claude GINTZ, " Richard Long, entretien avec Claude Gintz. " Art Press. juin 1986.

Andy GOLDSWORTHY, " Goldsworthy, Andy ", Stone, New York, Harry N. Abrams, Inc., 1993.

Michael HEIZER , " Heizer, Michael, Double Negative ", USA, Rizzoli International Publications, Inc., 1991.

Nancy HOLT, " The writing of Robert Smithson ", Nancy Holt ed.,New York, New York University Press, 1979).

Lucy LIPPARD, " in six years : the dematerialization of the art object ", 27 New york Praeger Publishers, 1973 .

Jan Van Der MARCK, 1991, Préface du Catalogue de l’exposition : " Virginia Dwan Art Minimal - Art Conceptuel - Earthworks. New York, les années 60-70 ", Galerie Montaigne. 1° octobre 14 décembre 1991 

Anne-Françoise PENDERS, " En chemin, le Land Art ", Bruxelles, Ed la Lettre Volée, Décembre 1999.

Gilles TIBERGHIEN, " Land Art ", Paris, Ed. Carré, 1993.

Charles STUCKEY, " Taped conversation with Virginia Dwan " 1984. in Catalogue de l’exposition : " Virginia Dwan Art Minimal - Art Conceptuel - Earthworks. New York, les années 60-70 ", Galerie Montaigne. 1° octobre 14 décembre 1991 "

Marina VAIZEY, " Christo ", ed. Albin Michel, 1990.

 

 

10 / Signets Sites et Pages Web
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Annexe
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Préface au catalogue de l’exposition : " Virginia Dwan Art Minimal - Art Conceptuel - Earthworks. New York, les années 60-70 " Galerie Montaigne. 1° octobre/14 décembre 1991 "


(Jan van der Marck, 1991).
Après avoir tenté de me remémorer les circonstances de ma première rencontre avec Virginia Dwan, j’en conclus que c’était en 1963, lors de l’avant première de " Raysse Beach " à New York chez Alexandre Iolas, que Jean Tinguely nous avait présenté. (…)

C‘est tout naturellement que je me suis tourné vers la Galerie Dwan lorsque j’ai voulu emprunter les machines de Jean Tinguely et les peintures avec néon de Martial Raysse pour une double exposition organisée au Musée d’Art Contemporain de la ville de Chicago en 1968.La Galerie Dwan me prêta également d’autres œuvres pour diverses expositions , et en particulier des documents photographiques sur les projets récents de six " Earth artists ", Michael Heizer, Peter Hutchinson, Richard Long, Walter de Maria, Denis Oppenheim et Robert Smithson, intitulés " Evidence of the Fligth of six Fugitives " (Preuve de la Fuite de six Fugitifs) au printemps 1970.

L’une de mes passions au cours des années 1960 fut Fluxus, entrelacs complexes d’expressions et de déclarations éphémères allant de San Francisco à New York et de New York à Cologne. Certains artistes lancés par Virginia Dwan vinrent de Fluxus.

Avant l’invention de l’expression de " Earth Art ", j’avais lu une description de " l’Art Yard " de Walter de Maria, forage d’un trou géant traité comme spectacle par un public en smoking dans An Anthology (Une Anthologie) (1963) publié par Jacson Mallow et LaMonte Young. Ce dernier contribua également au principal Manifeste Fluxus, " compositions " enjoignant les artistes " à " build a fire " (faire un feu), " turn loose buterfly " (relâcher des papillons) et "draw a strait line and follow it " (tirer une ligne droite et la suivre)

Par une coïncidence heureuse, Virginia Dwan m’offrit en 1970 l’occasion d’un contact direct avec l’Earth Art de Walter De Maria et la musique de LaMonte Young. C’est ainsi que je pus mieux comprendre les liens profonds unissant l’Art Minimal, l’Art Conceptuel et Fluxus.

En février 1970 la Galerie Dwan m’invita à me rendre dans le Nevada pour voir les earth works récents de deux de ses artistes Walter De Maria et Michael Heizer, dont les interventions dans la nature allaient du Conceptuel au Colossal. Virginia Dwan accueillit ses invités, dont le directeur d’un musée suisse, Carlo Hubler et moi-même, à Las Vegas, dans la tenu parfaite pour le trajet qui nous qui nous attendait, telle Meryl Streep dans " Out of Africa " . John Weber n’était pas moins impressionnant en tenue western et ceinture avec pour boucle un dollar en argent. Mais le charme se rompit rapidement alors que nous commençâmes à respirer le sable poussiéreux à l’arrière non rembourré de la camionnette à plateau de Michael Heizer. Mais, même après ce trajet interminable, c’est avec un immense plaisir que je passais des heures à parcourir les sillons sablonneux tracés par walter De Maria dans les broussailles en suivant un simple modèle géométrique.

On nous déposa en pleine campagne et Virginia nous expliqua que notre marche et notre choix de la droite ou de la gauche à chaque carrefour allaient révéler la configuration et l’organisation du désert de Walter ? Tout ce dont nous avions besoin c’était de notre intuition, une logique déductive et une bonne paire de bottes. Le premier qui parviendrait à découvrir le plan choisi par l’artiste était encouragé à crier puis à rester tranquille. Néanmoins cette petite marche s’avéra tellement stimulante, surtout après que le soleil eut disparu derrière les montagnes que personne ne voulu s’arrêter, même après avoir découvert le secret de l’œuvre. Cette expérience conjointe contribua à l’établissement de liens profonds entre nous, citadins jetés pour un bref moment inoubliable sur un Earth work. Notre destination du lendemain (était) " Double Négative " de Michael Heizer, qui fait maintenant partie des collections permanentes du Musée d’Art Contemporain de la ville de Los Angeles est à l’apogée— ou au plus profond dans ce cas particulier — de l’Earth Art.
Deux ans plus tard, je me rendis à nouveau dans le Nevada et louai un petit avion. C’est ainsi que nous pûmes découvrir " Double Négative " sous deux angles, un angle interculturel et une perspective aérienne oblique. Et quelle vision fascinante ce fut, prouvant au moins l’argument de Virginia Dwan que le besoin humain en expérience artistique transcende l’attraction des objets portables et des tableaux accrochés sur un mur.

C’est une invitation fort différente que je reçus de Virginia Dwan le mois d’août suivant. Je passais cet été à Cap de Nice, sous couvert de rédiger un livre. Elle organisa chez elle, au cœur de Eze-le-Village, un concert de Raga donné par LaMonte Young et Marian Zazeela et durant toute la journée. Les invités allaient et venaient à leur gré, s’exposant ainsi pour une période indéterminée à une simple mélodie tout comme l’on contemple un arbre ou un tableau…Je ne puis l’impact de cette musique et sa symétrie avec ma découverte de l’œuvre de Walter De Maria dans le désert du Nevada.

Mes contacts les plus chers avec la Galerie Dwan sont ceux que j’ai eus avec Bob Smithson, artiste admiré et devenu ami. Je me souviens clairement de l’exposition de " nonsites " de Smithson en février 1969, où je fus ensorcelé par le " Mono Lake Site-Nonsite ". Cette œuvre qui représente un lac californien est à l’origine de son intérêt pour les lacs de sel ... .Pendant les étés 1971 et 1972 j’ai travaillé avec Christo sur son " Valley Curtain ". Spiral Jetty fut construite en avril 1970. Mes amis architectes Robert et Anna Bliss aidèrent Smithson à résoudre certains problèmes logistiques, mais tout comme pour " Double Negative ", ce fut Virginia Dwan qui s’occupa des équipements et des services nécessaires pour permettre à son artiste de réaliser son rêve.

Discrète et réservée, timide parfois mais impérieuse, Virginia Dwan émet une aura de mystère et d’élégance qui rappelle celui que nous associons au monde des grands films classiques. Je me souviens avoir vu un jour dans sons appartement du Dakota building une colonne en acier inoxydable, ayant sur ses faces des légendes gravées " The Torrent " (1926), " Flesh and the Devill " (1927) " Wild Orchids" (1929) " Queen Christina " (1933) et " Ninotchka ", (1939). Et je compris cet hommage discret de Walter De Maria à Greta Garbo, sans jamais mentionner le nom de l’actrice, se trouvait à sa place " Un jour, une autre colonne du même artiste portera peut-être la liste des achèvements remarquable de Virginia Dwan.

(Jan van der Marck (1991). Historien et théoricien, Conservateur de nombreux musées américains, Jan van der Marck est actuellement conservateur du Détroit Art Institute.)

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