Sylvana Condemi :La définition de l’espèce est donnée pour des organismes vivants sur la base de l’interfécondité. Or, en paléoanthropologie, on se trouve face à un problème : On ne peut pas définir quelle est l’interfécondité du néandertalien par rapport à l’homo sapiens et de l’homo sapiens par rapport au néandertalien. Donc on a d’autres critères qui nous aident à comprendre si les néandertaliens peuvent être une espèce ou une sous-espèce, mais la question n’est pas tout à fait tranchée.

François Marchal : Moi je suis plutôt de l’avis de considérer Neandertal comme une espèce à part entière. Il y a plusieurs aspects sur le squelette locomoteur, mais finalement le squelette locomoteur comme le crâne pour les néandertaliens, présente une liste tout à fait impressionnante de caractères que l’on trouve chez les néandertaliens et pas chez les hommes modernes. Alors c’est relativement fin en ce sens que le commun des mortels qui observe par exemple un fémur de néandertalien à côté d’un fémur d’homme moderne ne verra pas forcément une différence, mais si on entreprend véritablement un travail d’anatomie comparée précis, ou caractère par caractère on va effectivement comparer tout un ensemble de fémurs néandertaliens tout un ensemble de fémurs d’hommes modernes, on va être capable de lister tout une suite de caractères que l’on trouve chez les uns et pas chez les autres. Et tout cet ensemble de caractères que l’on trouve pas uniquement sur le fémur (on retrouve la même chose sur le basin, sur le tibia etc.) il est assez probable, assez cohérent d’imaginer qu’il y a une corrélation assez forte entre tous ces caractères, notamment pour des raisons d’architecture tri dimensionnelles, et que ça indique une différence, assez subtile encore une fois, pas forcément perceptible à l’œil nu comme ça du premier coup, entre le squelette locomoteur des néandertaliens et celui des hommes modernes. Et finalement le squelette locomoteur des néandertaliens, qu’on a longtemps considéré comme particulier d’une certaine façon, dans la logique et le sens de l’évolution, quand on va du passé vers nous, il n’a rien de particulier, il ressemble beaucoup à ce qui « se faisait avant », en terme de squelette locomoteur, et s’il y a un squelette qui est particulier, ce n’est pas celui des néandertaliens, c’est plutôt le notre, qui est « nouveau » en quelques sortes, en tout cas qui présente certaines nouveautés, certains petits ajustements, qui nous différencient de tout ce qui a été fait avant en terme de squelettes locomoteurs.

Sylvana Condemi : La différence est vraiment entre les néandertaliens et les fossiles qui le précèdent, et l’homo sapiens qui paraît avoir un squelette complètement allégé, et c’est aussi le cas pour les os du crâne qui sont beaucoup plus fins, beaucoup plus légers, avec des superstructures moins accentuées et tout cela fait qu’il y a vraiment une différence entre les néandertaliens et les hommes actuels. Si l’on regarde un fémur de néandertalien, donc ici le fémur de la Chapelle aux Saints, et que l’on place à côté, voilà, le fémur d’un homme actuel, on ne peut pas les poser exactement de la même façon. On voit très bien (fémur homme actuel) que c’est ici « en toit de maison », ce qui n’est pas le cas ici, circulaire, ovoïde (fémur de néandertalien). , alors que là c’est vraiment triangulaire, on voit très bien qu’il y a trois faces (fémur homme actuel). Alors, « La Quina ». C’est un néandertalien qui vient d’une région française, la Charente, le site de La Quina, qui a donné plusieurs individus, site qui a été fouillé dans les années 1920, et l’on retrouve des caractères très néandertaliens, c’est à dire que ce qu’il y a de très intéressant avec les néandertaliens, c’est que parfois on retrouve un simple fragment, et à partir du fragment, on a des caractères néandertaliens. Ils présentent une panoplie telle de caractères qu’ils sont reconnaissables sur de simples fragments.
Si l’on fouille un site en Europe, que l’on est dans du paléolithique moyen, et que l’on retrouve un petitfragment, il n’y a aucun problème pour reconnaître si c’est un néandertalien ou pas, aucun problème. Ici donc, il s’agit du même individu, nous avons le maxillaire, ici la mandibule, et on pourrait mettre le crâne dessus, comme ça. Là on recompose l’individu, malheureusement il manque la face qui est une partie extrêmement intéressante chez les néandertaliens. Le message que je voudrais faire passer si je peux me permettre, c’est que, on fait aujourd’hui en paléoanthropologie des choses qu’on aurait même pas rêvé il y a cinquante ans. C’est à dire que je pense que la discipline a vraiment évolué d’une façon incroyable. On a affiné nos méthodes avec des outils qu’on imaginait pas (par exemple l’ADN...), on travaille avec le synchrotron...C’est vraiment une discipline qui en pleine évolution et ça c’est un message qu’on peut faire passer.